Toute destinée, pour longue et compliquée qu'elle soit, comprend en réalité un seul moment :
celui où l'homme sait à jamais qui il est.
(J. L. Borges, L'Aleph)

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Alors c'est vrai, on peut sortir ?

Biographie

David Pascaud

Давид Паско - Auteur francophone, sans casquette excepté le circonflexe. Roman, nouvelle, poésie, aphorisme, liste de courses, page blanche.

Petite chronologie à rebours...

Février 2021 : Araldus, version audio | Comédien narrateur : Arnaud Boisseaux, conception technique : Romain Pascaud

Septembre 2020 : L'Affaire DeMerks, polar (format e-book), éditions Jerkbook

Mai 2019 : Ethanol macht frei, roman dystopique, éditions Le Lys Bleu (Paris)

Janvier 2018 : Valises, recueil de nouvelles, éditions du Carnet à Spirale (Toulouse).

Octobre 2016 : Des livres et nous des chansons, recueil collectif de nouvelles inspirée des chansons du dernier album des Ducs (www.lesducs.net).

Septembre 2016 : version brochée de Araldus, le maître enchaîné.

Août 2015 : parution en version numérique du roman Araldus, éditions Jerkbook.

2013 : parution en format numérique des Nouvelles d'un vaste monde, éditions Booxmaker.

2004 : participation à la bande dessinée Musique en planches, éditée par Montgorges Phonogrammes.

2003 : coauteur de Poitiers, tranches de villes, avec le photographe Dominique Bordier, éditions Déclics.

Rédacteur de presse (1998-2003) et dans l'édition touristique (2000-2010).

 

 

 

 

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Mes Livres

Ethanol macht frei

Éditeur :Le Lys Bleu

Genre :Littérature

Sortie: 20/05/2019

Cracovie, État-district de Pologne, années 2050. Wysniew Mendelski est un jeune fonctionnaire travaillant au sein d’une des puissantes institutions de l’Europe, reconstruite politiquement après le cataclysme de la « Grande Guerre » sur les bases de la démocratie la plus parfaite qui ait jamais été et d’une bioéconomie en harmonie avec la terre nourricière. Tout autour de la cité, à perte de vue, des champs de tournesol, « le végétal le plus proche de l’humain, à hauteur d’homo sapiens, visage rond...

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Araldus

Le Maître enchaîné

Dixième siècle... Araldus, petit seigneur au service du puissant comte de Poitiers, organise son existence autour d'un...

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L'Affaire DeMerks

Le commissaire Edmond Poldanski n'a qu'une ambition : étirer son ennui jusqu'à la retraite toute proche et au bout de...

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Valises

Douze nouvelles. Une de plus aurait porté malheur. Douze nouvelles rangées dans ces Valises, comme autant d’errances...

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Des livres et nous des chansons

Chansons et nouvelles

Livre-CD du groupe musical Les Ducs. 7 chansons des Ducs ... et 7 nouvelles écrites par 7 auteurs différents. 1 - Snow...

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Nouvelles d'un vaste monde

Un personnage de fiction conscient qu'il n'est pas réel, une jolie étudiante qui tue en peignant des portraits, des...

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Poitiers, tranches de ville

Balade poétique dans Poitiers et ses alentours en cent photos insolites et inédites.

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Des secrets silencieux, pétrifiés, trônent dans les palais sombres de nos cœurs […] : des secrets lassés de leur tyrannie : des tyrans désireux qu’on les détrône.
(J. Joyce, Ulysse)

Une "Boussole" vers l’Orient [1] | Version affable

Chronique littéraire du 23/10/2015, hebdomadaire Courrier Français : Boussole, de Mathias Enard

 

Le dernier roman du Niortais M. Enard, de manière érudite et poétique, bouscule les idées reçues sur l’Orient. Mais l’Orient, qu’est-ce que c’est ? Une lecture salutaire.

Pour ne pas perdre le nord dans le flot de la rentrée littéraire, le roman intitulé Boussole est tout indiqué. Le jeu de mot est certes facile mais le dernier opus de Mathias Enard - déjà auteur de Zone (2008) ou encore Rue des voleurs (2012) - est fort recommandable. Cette Boussole-là indique en vérité l’Est. Mathias Enard a étudié l’arabe et le persan (iranien) à l’Institut des langues orientales, et c’est un connaisseur du Moyen-Orient.

Concernant l’Orient, « Les journalistes s’occupent de la douleur et de la mort » * explique l’écrivain pour exprimer la vision que les médias ont de cette partie du monde, ne mettant en avant que les horreurs des conflits de Syrie, d’Irak, d’Afghanistan, de Palestine… Terrible liste. Le personnage central de Boussole, Franz Ritter, montre au contraire qu’il faut s’intéresser à autre chose qu’à la douleur, et on le suit volontiers dans ses méditations.

De la Styrie à la Syrie

Qui est ce Franz Ritter ? Un musicologue autrichien, viennois plus précisément et ce détail est primordial dans le fil du récit ; intellectuel velléitaire, très malade, il passe une longue nuit d’insomnie où les rêveries, les souvenirs amers et joyeux, se bousculent. L’action se situe dans l’espace clos de sa chambre, à Vienne, la “Porta Orientis”, « mais sur quoi ouvre-t-elle ? » * questionnement fondamental de ce roman fleuve… qu’il soit Tigre, Euphrate ou Nil, d’ailleurs.

Franz se raconte, entre émerveillement et humour, comme un bilan de vie ; le récit de son existence s’entrecoupe de lettres, de mails. Par son style, le livre est audacieusement complexe, méandreux. Le lecteur sera frappé par l’érudition de Ritter – et donc celle de Mathias Enard - : les références se multiplient. De fait, l’Orient de Ritter peut « désorienter », on se perd parfois, et c’est tant mieux peut-être, même si l’on peut légitimement se sentir un peu découragé face à l’éparpillement et aux digressions d’un récit qui peut sembler parfois un chouïa prétentieux.

Mais on continue : des rencontres, des croisements, il faut apprendre à se perdre. Les heures d’insomnie de Ritter créent des ponts multiples, des passerelles infinies, entre Orient et Occident, en littérature, poésie, peinture, architecture, musique, fantasmes en tous genres… Se succèdent mille et un noms de livres, de thèses, d’œuvres d’art, sur un ton quelquefois un peu docte. Enard nous propose des voyages dans l’espace, à Istanbul, Damas, Alep, Téhéran, et toujours plus vers l’est, dans tous les lieux fréquentés par Franz Ritter et Sarah, la femme aimée, dans tous ces lieux où bringuebalent leurs passions orientalistes, leur amour plus ou moins contrarié. Voyages dans le temps aussi, celui de l’histoire fait d’absences et de retrouvailles de ces deux êtres passionnés et celui de la grande Histoire avec l’évocation des grands empires (ottoman, perse, abbasside…) ou des révolutions (arabes en 2011, iranienne en 1979...), et l’on croise la route de personnages prestigieux, de Lawrence d’Arabie à Goethe, de Mahler à Rimbaud, de Khayyam à Liszt.

Dans l’ensemble touffu et labyrinthique du roman, on cueille des trouvailles assez formidables, telle la lumière bleutée de l’ordinateur de Franz qu’il imagine être un tableau de Paul Klee, brillant dans la nuit… Des phrases qui interpellent : « Théodore Chassériau, qui combine la précision érotique d’Ingres avec la fureur de Delacroix » : vite, retourner au musée Sainte-Croix, scruter L’Eunuque et la reine d’Éthiopie pour vérifier l’affirmation de Franz ! Des passages réjouissants comme une longue tirade antiwagnérienne et Gobineau, « inventeur de l’aryanité » qui se fait méchamment épingler aussi. Des découvertes : saviez-vous que « Paradis est un mot persan », venu de l’avestique, la langue antique des Zoroastriens ?

L’amour de l’Orient, quel Orient ?

L’auteur, via son narrateur, met le doigt sur l’ambivalente fascination des Européens pour l’Orient, ce fameux « orientalisme » qui a tant nourri l’âme des artistes et des rêveurs, mais pas seulement… Comment l’archéologie, noble discipline savante, fut à la fois recherche de savoir (donc de sagesse) et forme de pillage brutal ? Enard rappelle que les grandes expéditions archéologiques furent liées à l’ère coloniale : l’égyptologie n’es-elle pas une discipline purement européenne ? À travers les siècles, on revoit l’Orient français, plutôt lascif et érotique, nourri de désirs d’odalisques et de bains turcs… Celui, romantique, des Allemands, plus mystiques… Un Orient pas tant à l’est que ça, comme celui de l’Espagne, avec al-Andalus. Là, l’Orient est bien en soi. Ce n’est plus l’autre. Bref, une diversité étourdissante, vertigineuse, qui époussète la vision uniforme et caricaturale que nous pouvons avoir, d’Occident, de ce fameux « Orient ».

Mais au-delà de l’érudition affichée, ne s’agit-il pas d’abord d’un roman d’amour ? L’Orient véritable de Franz, ne serait-ce pas Sarah ? Tristan et Iseut sont souvent cités ; Sarah, « femme savante, femme libre, femme puissante, qui a un vrai itinéraire scientifique et spirituel » explique Mathias Enard * ; Franz se sent insignifiant face à cet idéal féminin, et c’est lui qui a besoin d’une boussole pour se repérer dans ses propres sentiments.

Beaucoup de personnages troubles peuplent le roman, des fous, des érotomanes, des archéologues espions, l’Orient faut tourner les têtes et les cœurs, avec ou sans opium. Chacun cultive son Orient, tend vers un absolu qui n’appartient qu’à soi, mais cette quête est universelle. Sarah, intelligente et aventurière, sublimement belle (en tout cas à travers les yeux de Franz), est peut-être au fond le vrai personnage principal, l’obsession de Franz, son Orient à lui. Désir physique ? Profonde et inaltérable complicité intellectuelle ? Quête d’absolu partagée dans la fascination orientaliste ?

Simplement un amour humain posé sur le mythe insaisissable de l’Orient, derrière lequel courent les deux personnages : ce Levant géographique d’où vient la lumière, mais un Orient jamais fixé, il y a toujours « l’Orient de l’Orient », ajoute Enard * citant Pessoa, le poète portugais. L’orient, quasi indéfinissable serait comme une « fiction collective, différente selon les époques et les lieux, une réserve d’imaginaire », certainement inépuisable comme le suggère ce livre.

Le roman s’achève au petit matin, le soleil se lève ; message d’espérance. De nouveaux jours se lèveront sur l’Orient. Sur la Syrie, l’Irak, la Palestine, aujourd’hui tellement accablés par les ténèbres.

* Entretien de l’auteur à LibrEst (rentrée littéraire 2015 des Libraires de l’Est parisien)

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Libération d’ "otages intimes"

Chronique littéraire du 25/12/2015, Courrier Français : Otages intimes, de Jeanne Benameur

 

Dans son dernier roman, dédié notamment à sa mère, la Rochelaise J. Benameur scrute avec minutie l’âme complexe de ses personnages, parmi lesquels un otage de guerre revenu au pays.

« Qu’est-ce qui de nous est pris en otage ? » telle est l’interrogation majeure du nouveau roman de Jeanne Benameur. Native d’Algérie, Jeanne Benameur est rochelaise depuis l’âge de cinq ans et fut lauréate du prix Unicef en 2001. Dans son œuvre, les thèmes de l'enfance mais aussi de la sensation et du corps sont très présents. Otages intimes ne déroge pas à l’habitude mais avec une résonance toute particulière du fait de l’actualité internationale.

 

Les traumatismes d’un otage politique

 

Étienne, photographe de guerre, capturé et pris en otage dans un pays lointain et indéterminé (mais qu’on situe instinctivement au Proche-Orient), est libéré sans rien savoir des tractations qui ont abouti à cette libération. La scène – entrecoupée par d’autres – du voyage en avion qui le ramène chez lui, dose parfaitement ce que le personnage ressent de doute, de colère rentrée, de honte aussi. On est tout de suite touché par ce personnage qui ressemble à ce que nous serions probablement dans une telle situation. « Je rentre » se dit-il, en veillant à ne pas le penser trop fort pour ne pas briser le miracle. C’est lui l’otage physique, qui en réchappe pendant que d’autres sont restés menottés dans une cave obscure, à la merci d’une exécution sommaire. C’est lui le véritable otage du roman, marqué dans sa chair, dans son âme, par cette expérience extrême. Le reste n’est que littérature, serait-on tenté de dire.

L’auteur met en résonance le retour d’Étienne au pays, dans son village natal, avec son entourage. Il n’est pas un personnage qui n’ait une prison intérieure d’où il veut ou devrait s’enfuir. Chacun a ses murs intérieurs et s’y cogne toujours. Quelle est cette part de nous prise en otage pendant l’enfance et qui reste à reconquérir le reste de sa vie ? Cette idée que l’on est toujours otage de quelqu’un, de quelque chose, se développe dans le récit : rien de vraiment nouveau sous le soleil littéraire, avec « cette quête de cette part de soi à se réapproprier ». Et il est vrai que la suite du roman se révèle moins convaincante, enchaînant quelques poncifs : la mère courage harassée par un lourd et vieux secret ; l’amoureuse lassée de l’attente qui a refait sa vie mais se torture encore intérieurement ; les deux ami d’enfance, Enzo l’ébéniste taiseux qui, lui, n’est jamais parti, et Jofranka, l’orpheline recueillie devenue avocate à La Haye auprès d’autres femmes, d’autres victimes de guerre… Casting presque trop parfait, scénario idéal pour film sentimental. L’écriture est heurtée, faite d’insistance, mais certains lecteurs la jugent au contraire fluide et délicate – c’est affaire de ressenti, même le lecteur a ses préjugés, ses prisons émotionnelles - ; elle se révèle en tout cas très intimiste, en phase avec le sujet du roman ; c’est bien là le talent de Jeanne Benabeur.

Son récit est celui d’une reconstruction, le retour aux choses simples, au quotidien, une promenade dans une nature qui a tout pour être accueillante, et devenue cependant un peu étrangère : « Il a besoin d’un lieu que son corps n’a jamais occupé, comme si ce corps nouveau qui est le sien ne pouvait plus s’arrimer aux anciens repères ». Ce n’est pas si simple de goûter à la simplicité. Toutes les horreurs naissent d’elle, même les bourreaux cagoulés ont été enfants. « Comment passe-t-on du sauvage de toutes les enfances à la barbarie ? » La phrase est lumineuse autant qu’accablante. Mais c’est d’autant plus compliqué de suivre Etienne dans sa reconstruction personnelle que le récit est polyphonique, un peu confus et ennuyeux, amalgamant les points de vue, usant de paragraphes fractionnés, comme l’exige la modernité littéraire. On se perd un peu. Il est vrai qu’Étienne non plus ne sait plus trop où il en est et ce qu’il devrait faire.

 

Otages intimes, otages infimes ?

 

Le narrateur/la narratrice, omniscient(e), semble vouloir tout cerner, tout expliquer, dans les moindres recoins de l’âme de cet homme brisé, qui aspire simplement à s’adosser à un arbre, boire un verre de vin, ne pas perdre le goût du pain. « S’arrimer à ce qui est tangible. Ne pas essayer de décortiquer ce qui se passe. Le vivre c’est tout ». Pourtant c’est la tentation à laquelle l’auteur ne résiste pas. Son style est travaillé, joliment certes, mais manque de naturel. Jacques Brel le disait un jour : « le plus important dans la vie c’est vivre, c’est l’acte de vivre, le reste c’est du luxe. » Roman luxueux donc, remarquablement écrit, qui fait du sentiment humain un objet d’études. Les personnages sont tous des otages et ils ont de ces exutoires que n’a pas nécessairement le commun des mortels : la mère joue du piano, Enzo empoigne le violoncelle, Jofranka sort sa flûte et joue aussi. Le roman intimiste devient un peu cacophonique. Étienne lui-même s’y met, tapote sur les touches et les souvenirs enfouis remontent à la surface de la conscience, on balance entre émotion vraie et gros cliché cinématographique.

Chacun a une part de soi qu’il ne libère pas, soit qu’il ne l’atteint jamais, soit qu’il a accepté cette captivité intérieure… Dans la deuxième moitié du roman, la quête se fond dans la fatalité, le consentement. Le roman atteint une autre vérité, en devient parfois presque nihiliste : « aucun pacte ne tient ». Le parfum consensuel de l’ensemble du roman s’évapore quelque peu, une mélancolie plus rude imprègne alors l’écriture. Et puis, on se laisse fasciner par cette Jofranka, qui respire tant la lucidité, peut-être la sagesse : « Déjà elle savait que le bien et le mal c’étaient des gens. Rien que des gens. Et que c’était pire ».

Dernières pages, encore une libération pour Etienne. Jofranka la guérisseuse des âmes, la faiseuse de paix, soulage son ami d’enfance en posant ses mains, sa tête, sur lui. Ils font l’amour : convenu mais beau. La confession est une délivrance : « ce que Jofranka lui révèle, c’est ce qu’il sait déjà de tout son être sans l’avoir jamais dit » L’homme de photographie se libère par la parole « Sa vérité, elle était là. C’était la place exacte du goût de la mort en lui. La guerre, il la cherchait, il la traquait sur les visages, sur toute la planète. Parce qu’elle tient la porte grande ouverte sur la mort ».

Fin du livre, dernier mot : « espérance » ; nous aussi on est libéré.

 

 

 

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La Part de l'autre

Critique du 20/08/2015, Babelio : La Part de l'autre, de Eric-Emmanuel Schmitt

 

Un sujet casse-gueule, mais Eric-Emmanuel Schmitt s'en sort plutôt bien.

Le point de départ est une question, simple dans la forme, terriblement perturbante dans le fond : que serait devenu Adolf Hitler, le bourreau absolu, chef de l'Allemagne nazie de 1933 à 1945 - et quel aurait été par conséquent le destin du monde – si, au mois d'octobre 1908, l'école des Beaux-Arts de Vienne n'avait pas recalé celui qui ambitionnait alors d'être un artiste peintre ?

 Trouver des défauts à cette Part de l'autre n'est pas difficile, d'autant plus si l'on s'arme d'un peu de mauvaise foi. Mais rien de dangereux ni de scandaleux tout au long des presque 500 pages du roman. On peut certes s'interroger sur l'intention réelle de l'auteur : un tel sujet, un peu amoral, n'a-t-il pas été choisi pour capter l'admiration du petit monde littéraire et créer un événement éditorial ? On peut aussi émettre des réserves sur le procédé stylistique : un récit binaire et alterné, est-ce bien original ?

Mais Schmitt est un bon artisan du livre. La simplicité du style s'accorde avec le thème : ce n'était pas le lieu pour s'adonner à un exercice de style de virtuose. C'est la sophistication qui aurait été douteuse. L'écriture fluide et rythmée ne nous divertit pourtant jamais vraiment, vu la délicatesse du postulat de départ. Il y a même un petit quelque chose d'écoeurant qui saupoudre la lecture, au fur et à mesure que l'on progresse ; le roman se révèle efficace à nous déranger. Tant mieux. On tient à le terminer malgré tout parce qu'il y a cette part d'utopiste en soi qui veut savoir ce qu'aurait pu devenir le monde sans… si… 
Cela ne rend pas moins amer. 
C'est un livre qu'on ne relit pas. 

Un petit mot sur l'évolution en parallèle des deux destins – l'un totalement imaginé, l'autre basé sur les faits historiques. Ils se coupent et recoupent, on passe de l'un à l'autre très vite, sans transition, et cette facilité bouscule nos certitudes, et nous trouble.

Ainsi, Hitler aurait pu être un homme « normal » (et peut-être en était-il un, fondamentalement… Fameuse « banalité du mal »), des millions de vies auraient été épargnées, et le monde aurait fait l'économie d'un tel traumatisme ?

Là, on peut légitimement tiquer : tout ça est un peu manichéen. le pendant du dictateur Hitler est un certain Adolf H, type ouvert, équilibré et réfléchi, artiste progressiste adepte du surréalisme, féministe et cosmopolite… Difficile de faire plus fréquentable. Difficile aussi de croire qu'un simple refus d'admission universitaire puisse être à l'origine d'un renversement si net dans une personnalité dont on sait les dégâts qu'elle a causés. La haine anti-juive d'Hitler et son projet génocidaire seraient nés de cette frustration de ne pas poursuivre des études artistiques ? Il est surprenant que, dans son parcours, le personnage Adolf H. ne montre pas plus de fractures intérieures malgré sa réussite sociale et artistique, et ne soit en butte notamment à une forme, même larvée, d'antisémitisme. 

Un « non » traumatique à l'origine de tout ? Trop simple, bien sûr, mais c'est la liberté de l'écrivain : Schmitt décrit deux vies radicalement opposées, donnant l'impression d'insister sur la dichotomie bien/mal qui réside en l'individu. En chaque individu, devrais-je préciser.

C'est en cela que ce livre devient à mon sens intéressant. Tout est affaire de construction (ou de déconstruction, c'est selon). Hitler n'est pas né monstre, il l'est devenu. Même si la journée du 8 octobre 1908 n'a pas porté évidemment en elle toutes les potentialités d'horreur que l'on sait. L'hitlérisme s'est forgé dans la défaite allemande de 1918, l'humiliation du traité de Versailles, la situation économique des années 20, aggravée par la crise qui submerge l'Allemagne dès 1930… La nazification de la société allemande ne s'est pas faite en un discours cinglant du Führer qui aurait emporté l'adhésion de millions de personnes en quelques heures. Construction encore, par la propagande quotidienne, le culte intensif de la personnalité, l'embrigadement, la terreur. 
Construction bien visible dans le récit quand Schmitt évoque un Führer qui, tous les matins, avant ses discours ou ses entrevues avec ses collaborateurs, « fabrique du Hitler » devant sa glace. La chair flasque d'un pauvre type est remodelée par des mimiques, le corps est redressé par des postures étudiées, caché par les oripeaux du chef. La barbarie ne vient pas d'une force néfaste supra-humaine, elle naît dans l'humain même et se structure avec lui et avec son entourage. 

Il me semble que la tentative de Schmitt va dans le sens d'une vision plus fonctionnaliste de l'histoire ; tout s'imagine, se construit et s'organise ici-bas. Les malheurs n'ont pas d'origine extra-terrestre ou pseudo-divine : ils germent dans des esprits humains, se développent dans des sociétés humaines. L'un des pires criminels de l'Histoire se trouve ainsi ramené à l'Humanité – l'idée poil-à-gratte, convenons-en –, une humanité à laquelle nous aurions préféré, philosophiquement et moralement, le tenir solidement écarté. Comment un « véritable » être humain aurait-il pu imaginer et mettre en oeuvre « ça »… ? Le livre incite à penser qu'Hitler ne peut pas être simplement vu comme un immonde bourreau, vociférant et hargneux, sorte d'Alien à moustache tombé par hasard et par malchance pour l'homo sapiens sur Terre dans la première moitié du XXe siècle. Je me souviens que le film d'Oliver Hirschbiegel, La Chute, avait essuyé des critiques sur le fait qu'Hitler (joué par Bruno Ganz) y était montré attentionné et bienveillant avec ses secrétaires. Attaques absurdes. Adolf Hitler n'est pas « hors » de l'humanité, et le nazisme n'est pas un accident de parcours de l'Histoire, épouvantable cataclysme explicable seulement par le fait que les gens de cette époque eussent été de surcroît plus idiots que nous et tellement moins civilisés. L'école a eu quelque peu tendance à relayer cette vision des choses : Hitler, psychopathe absolu mais échappant à l'analyse psychologique, à la tête d'un Reich pyramidal tout entier dans sa main, fou furieux qui aurait contaminé son époque par sa seule volonté, inhumaine et surhumaine. Vision très fataliste : l'humanité n'a pas eu de chance et il lui reste jusqu'à la fin des temps pour pleurer ses morts et maudire le monstre. 

Il n'est pas faux de penser que ce livre réclame au préalable chez le lecteur un minimum de connaissances historiques et une bonne charpente mentale, nécessaires à cette prise de recul qui ne fera pas d'Hitler une victime de la société de son temps. C'est vrai. Même s'il faut prendre en compte l'ensemble de son parcours, Hitler n'est certainement pas une victime, et à aucun moment ce livre ne sous-entend une telle absurdité, mais il nous faut bien admettre qu'il est né parmi nous, qu'il fut enfant, pensant, ressentant… C'est dérangeant, salement dérangeant, d'autant que cela suggère que le cas de ce personnage n'est pas unique et clos dans l'Histoire.

D'une certaine façon, le livre de Schmitt, simpliste et apparemment peu nuancé dans son postulat de départ, oblige à admettre la complexité de l'Histoire, qui est toujours faite par les humains. 
Constat un peu glaçant d'un livre sincère, mais pas forcément pessimiste : on sort de ce livre avec une vigilance renforcée.

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Je vais mieux ? Pas si sûr...

Critique du 16/08/2015, Babelio : Je vais mieux, de David Foenkinos

 

Tant de personnages qui vaguent à l'âme, errent et se torturent presque avec délice, molletonnés sur un douillet compte en banque, entourés de femmes compatissantes – et souvent si belles. Que les drames de la vie sont doux à ces héros que les auteurs s'acharnent à décrire comme des médiocres ! Les pages n'ont qu'à se tourner.

Le narrateur du livre de Foenkinos se présente comme un type, rien qu'un type (pas même besoin d'ajouter l'épithète « normal », ou « banal », ou « commun »), qui crève existentiellement à mi-parcours, a abandonné femme et travail, et cherche une nouvelle vérité, paragraphe après paragraphe, s'envolant vers New York (ben tiens) où vit son fils, retrouvant une camarade d'école primaire en dix secondes sur internet (si belle trente ans après, oui, forcément belle), prenant rendez-vous chez une pute hygiénique, toujours sur internet, et la quittant cordialement… tout cela en trois ou quatre pages. 

Et qu'en est-il de celui qui ne peut abandonner son boulot à cause du crédit ad vitam qu'il a sur le dos, des enfants à charge qui ne peuvent s'éduquer par ellipses temporelles, de l'indifférence humaine qui fige son quotidien ; qu'en-est-il de ce vrai prisonnier de l'existence, menotté par une lâcheté et des contraintes insolubles ? L'auteur ne le connaît pas et probablement même ignore-t-il qu'il puisse exister.

Bref, un roman boboïsant déconnecté du monde, le genre de bouquin qui peut rendre la littérature française contemporaine assez insupportable à ceux qui n'appartiennent pas au cercle.

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Le Péché de ma mère

Critique du 28/08/2015, Babelio : Le Péché de ma mère, de Georges Vizyïnos

 

Le « Maupassant grec » a-t-on dit de Georges Vizyïnos, prosateur né en 1849 dans la région de Thrace, mort en 1896 à Athènes. 

Le genre de comparaison pratique qui permet de classer un peu rapidement un auteur méconnu, mais qui présente l'avantage de susciter l'envie de le découvrir. Il est vrai que le conteur hellénique possède bien des points communs avec l'écrivain normand : outre l'art de la nouvelle et le fait qu'ils soient de la même génération (un an les sépare), il est surtout troublant de relever leur mort prématurée, précipitée par la folie. 

Le Péché de ma mère, nouvelle écrite à Paris où Vizyïnos a étudié la philosophie, peut être perçue comme un récit autobiographique car l'auteur se distingue peu du narrateur. Par la voix de Yorghis, est-ce Georges qui se souvient ? Tous les deux ont quitté leur campagne de Thrace pour rejoindre la grande ville, Constantinople. Similitude des prénoms, similitude des destins.

L'action se situe donc dans la région hellénique de Thrace, incluse dans l'Empire ottoman, dans la seconde moitié du XIXe siècle, mais cela pourrait se dérouler ailleurs à n'importe quelle autre époque. La Thrace du XIXe ne transparaît que par petites touches légères, dans une « bande d'étoffe » ou bien une lampe vacillant « devant une icône ». L'auteur ne s'encombre pas de descriptions naturalistes de paysages, d'objets ; les sentiments des personnages, mère et fils narrateur, prennent toute la place.

Vizyïnos raconte les affres morales d'une femme qui estime avoir commis l'irréparable – le fameux « péché » -, et l'amour désordonné d'une mère pour ses enfants. S'entremêlent les souffrances psychologiques de la mère et les sentiments du narrateur, souvent empathique et attendri, rarement amer malgré le souvenir de l'abandon ressenti durant son enfance.

C'est par le parcours intérieur de la mère que Vizyïnos met en lumière les moeurs de la Grèce du XIXe, dévote et superstitieuse. On y comprend le rôle de l'Église orthodoxe aussi bien que la place des filles dans la famille. Mais l'on en revient tout de même à une "faute" individuelle qui génère un parcours mental, des résolutions et des actions incompris par l'entourage de la mère, que ce soient les habitants du village ou ses propres enfants. J'ai d'ailleurs eu l'impression d'un détachement général vis-à-vis d'elle plus que d'une réprobation collective. Difficile de savoir si Vizyïnos décrit une femme de son temps, accablée par des normes sociales forgées par la religion et la tradition, ou par une femme unique (inspirée par sa mère) qui se fabrique son propre malheur.., Quelles sont les parts du poids social et du désordre mental du personnage ? Cette nouvelle est également le récit du cheminement du narrateur qui finit par apprendre et comprendre ce qu'il s'est passé. Lui non plus ne juge pas.

La gravité de la situation (misère sociale et instabilité psychologique), est évoquée dans un style léger et coulant, d'apparence simple, qui pourrait presque rassurer tant le narrateur apparaît doux et mesuré. Mais ce décalage ne dissimule ni n'atténue les douleurs du personnage central, il fait même ressurgir d'autant plus les fractures de la mère.

Un texte à relire pour y mesurer le poids de la religion, mais surtout de l'amour, sur le sentiment de culpabilité et les comportements qui en découlent.

Enfin, une ultime constatation : l'impuissance de l'écriture face à un drame humain si profondément ancré dans un être. Peut-être cela explique-t-il la légèreté de ton de Vizyïnos, teintée d'une frêle ironie. Ce drame, la littérature a su l'évoquer sur une quarantaine de pages et même compatir, et après ? « Ses yeux se remplirent de larmes, et je me tus. »

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Pierre, feuille, ciseaux

Critique du 26/08/2015, Babelio : La Pierre, la feuille et les ciseaux, de Henri Troyat

 

Pierre, feuille, ciseaux... Jeu de main très connu qui sert de titre à ce roman pas du tout vilain de Troyat. A défaut d'être fascinante, la lecture est franchement agréable, presque ludique : on se plait à décrypter les interactions entre les principaux personnages qui forment une sorte de triangle amoureux et même passionnel. Qui joue le rôle de la feuille ? Qui est la pierre ? Etc.

Le visage "taillé" et le physique sec d'Aurelio, ainsi que son tempérament cassant et ironique, l'associent à la pierre. Et puis, il y a cet arrivisme, ce sens du concret qui le caractérisent également. 
A partir de là, le jeu d'esprit peut commencer. 

André, l'artiste homosexuel d'âge mûr, spécialiste des gravures et de la lithographie, est d'un caractère doux et conciliant (personnage presque trop archétypal, d'ailleurs), lisse comme une feuille de papier. Par bonté, par amour aussi, il prend soin d'Aurelio : telle une feuille recouvrant la pierre, il veut le protéger. Il l'influence grandement en l'ouvrant notamment à la culture. Aurelio, malgré son caractère dur et indépendant, ne peut le quitter et se donnera à lui.

Sabine est une amie d'André, leur relation est platonique. C'est une femme libre et incisive. Sans égard pour André qu'elle fait souffrir, elle couche avec Aurelio et lui impose même leur enfant : les ciseaux déchirent la feuille...

Mais les ciseaux sont à leur tour ébréchés par la pierre. Aurelio n'est franchement pas un rigolo, genre de type assez antipathique et calculateur qui sait user de son physique sans trop d'état d'âme. Hop, le bellâtre a séduit la jeune femme. Celle-ci lui sacrifie une partie de son indépendance, les disputes sont fréquentes entre les deux amants, et seule Sabine semble marquée dans son âme car Aurelio se montre dur et blessant avec elle (bing, comme un caillou reçu). Marquée dans sa chair aussi : l'enfant qui naît de leur passion est une marque faite au corps de Sabine ; la présence de l'enfant sera une empreinte pour la vie, indélébile. Ah terrible amûûr...

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Un balcon en forêt : drôle d'histoire

Critique du 18/08/2015, Babelio : Un balcon en forêt, de Julien Gracq

 

Un continuel novice ne peut pas le nier : avant même d'ouvrir un de ses livres, Gracq décourage. Au mieux, il intimide. Pour me permettre d'entrer dans cette oeuvre exigeante et ardue, on m'a dirigé vers Un balcon en forêt, bizutage gracquien a priori moins douloureux grâce à l'arrière-plan historique. La littérature ne s'est pas beaucoup penchée sur la guerre de 1939-40 : c'est un attrait non négligeable, surtout si l'on aime l'histoire - la grande.

Drôle de guerre en effet, étrange prose poétique qui fait oublier qu'on lit un roman. Je me suis ennuyé à sa lecture, mais me suis curieusement senti impatient de retrouver chaque jour cet ennui. J'ai parcouru pas mal de pages très distraitement, songeant à Zangra (avec la voix de Brel dans la tête) ou au Désert des Tartares ; le récit m'a peu importé, même lorsque les Allemands ont attaqué. Non, plutôt un rythme de phrase, en phase avec la torpeur de ces soldats, presque un ahurissement. Parfois, je l'avoue, la beauté m'a échappé, la rêverie aussi, et la lecture est devenue âpre ; une forêt de mots, dense, inextricable, et on se met à lire à coups de machette, poussée par la vigilance. 
D'ailleurs, "on eût dit que" même Gracq a ses tics de langage. Rassurant, tout compte fait, et la rêverie peut revenir.

J'ai enchaîné avec Le Rivage des Syrtes qui m'a confirmé que l'oeuvre de Gracq serait de celles que je respecterais infiniment sans jamais vraiment parvenir à les aimer. 

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Notre besoin de consolation...

Critique du 26/08/2015, Babelio : Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, de Stig Dagerman

 

Ô surprise. de la littérature nordique qui permet d'échapper à l'univers des habituels polars poisseux...
C'est le hasard d'une découverte qui m'a jeté dans les pages de ce jeune écrivain suédois anarchiste, suicidé à 31 ans au milieu des années 50. Ce texte très furtif fait penser à un testament dans lequel Dagerman livre sa philosophie de vie et de littérature. Ou plutôt un constat assez déprimant (vraiment ?) : l'universalité de la solitude de chaque être.

Un texte tellement court que n'importe quel commentaire un peu développé le concernant pourrait le dépasser en nombre de lignes... Mais pas le surpasser, car le propos est dense. D'ailleurs, le texte mérite d'être relu. Qui peut être sûr(e) d'en avoir saisi tout le sens à la première lecture ?
Ce texte peut servir de déclencheur : la prose de Dagerman, sa personnalité torturée, ses doutes sur son rôle d'écrivain...

Mon besoin de le découvrir est impossible à rassasier.

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Pensée pour Brel

Petit hommage fugace et reconnaissant, 18/08/2015

 

Boire une bière et trinquer avec le Grand Jacques sur la Grand'Place de Bruxelles, causant de tout, de rien, du quartier et du bout du monde, de la connerie humaine et de l'amitié... Ah ça... enfin bon, je rêvasse, j'étais bien jeune quand il a pris son dernier envol. Mais c'est un artiste qui accompagne encore mes journées : des airs et des vers qui passent par la tête, des phrases fortes qui servent de repères, une envie de vivre ; le bonhomme me relève quand le moral fermente dans les socquettes, et il me rappelle l'essentiel : "Gémir n'est pas de mise, aux Marquises..." 

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Lecture à cœur ouvert...

Critique du 20/04/2016, Babelio : Réparer les vivants, de Maylis de Kerangal

 

Maylis, pardonnez-moi, mais c’est une déclaration que j’ai à vous faire…
Vous m’avez offert une lecture à cœur ouvert.
Pourtant, rien ne prédestinait votre roman à s’effeuiller entre mes doigts. Je me glisse difficilement dans les écrits des auteurs contemporains surtout s’ils sont de ma génération, ou a fortiori plus jeunes – un côté vieux con asocial, que voulez-vous… -, j'ai d’autant plus de mal s’ils sont trop photogéniques – vous l’êtes sacrément. Bref, il réunissait trop de critères propres à me déplaire : l’unanimisme médiatique reflété dans ces prix littéraires s’étalant sur plusieurs lignes, un titre digne d'un traité de médecine, un sujet qui sent le désinfectant, et puis toute la symbolique facile qu’on peut imaginer autour de ce machin qui palpite à gauche… Mauvais esprit, va. 
Non, vraiment j’avais tort. Vous usez d’une belle plume pour un sujet lourd.
La langue est belle, le phrasé limpide, on se laisse emporter par ce flot de phrases longues, subtiles, musicales, mais la lecture reste à fleur de peau, la tension est palpable, le rythme s’accélère parfois - car il ne faut pas perdre de temps, les minutes sont comptées ! -, s’adoucit aussi de souvenirs et de nostalgie, s’entrecoupe à nouveau de ces pulsations désordonnées provoquées par la fatigue, la colère, l’angoisse soudaine… tant il est vrai que les personnages sont arrachés à la banalité de leur quotidien et rattachés à une situation qui n’est pas anodine. Les vingt-quatre heures d’une transplantation cardiaque. 
Éprouvant ou émouvant, le récit confine le lecteur dans les obsessions et les pensées des protagonistes et respecte - presque – la règle des trois unités : celle du temps, de l’aurore d’un dimanche tragique jusqu’au petit matin du lundi ; celle de l’action autour du corps du jeune Simon Limbres dont le cœur traverse tout le récit, et autour duquel gravitent, s’agitent, doutent, espèrent tous les personnages, parents, patients, médecins… ; celle du lieu, moins évidente certes, car le début du roman, sur la côte normande, laisse deviner la mer, « tension ondulatoire […] soulevée comme un drap lancé sur un sommier » (au passage, il faut signaler que les pages consacrées au surf sont magnifiques)... et puis la mère et le père, détruits, laminés, finissent bien par quitter ce satané foutu hôpital de malheur... et le cœur de Simon aussi, pour rejoindre un autre corps, dans un autre hôpital, d’une autre ville. 
Et cependant tout se tient, tous ces espaces n’en font qu’un, ne sont que les organes constitutifs et complémentaires du corps du récit. De l’infirmière qui enchaîne sa quarantième heure sans sommeil dans l’attente du message d’un amant d’un soir, à Sean et Marianne qui doivent prendre la décision la plus torturante qu’on puisse imaginer, tous les destins se rejoignent, se percutent, pour faire perdurer la vie, coûte que coûte.
Dernière ligne, il est 5 heures 49. Une journée commence, Simon n’est plus. Simon est dorénavant un peu partout.

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Je suis Gaby

Critique du 30/04/2016, Babelio : J'ai loupé le coche, de Céline Vay

 

Impossible de résumer un tel livre, excitant et labyrinthique en diable, jouissif et délicieusement inconfortable, car il bouscule pas mal de certitudes, susurre des correspondances, les dénoue, enchevêtre à nouveau… « Mais la vie est ainsi. Un immense parcours de mots croisés, fléchés, que l’on peut emmêler à loisir dans un sens ou un autre » … Et puis, ne serait-ce pas courir le risque d’être trop « masculin » que d’essayer d’expliquer cet ovni littéraire ?

De quoi est-on sûr(e) ? L’auteure parle d’un homme écrivant sous le nom d’une femme… Il s'appelle Gabriel, soit Gaby, ô Gaby (oui, je me permets de bashunguer, car le roman regorge de références culturelles pop)… Gaby, diminutif androgyne, qui se voit en « pastiche d’homme »« femme à l’envers », « anonyme du sexe défait »… avec sa drôle de particularité physique sous la ceinture. « Un ange avec un sexe hors norme. Amoureux d’une icône et libre. ». Libre, pas sûr(e), il est un peu paumé Gaby, très lucide et très décousu à la fois. De son désœuvrement, il veut faire une œuvre car c’est un « homme de lettres » - et on doit le croire car il le clame sans cesse ! -, connecté aux réalités virtuelles, virtuellement déconnecté des sentiments réels. C’est tout son être qui se brouille, toutes ses frontières intérieures qui explosent, féminin-masculin, conscience-subconscient, imagination-réel… Le style de Céline Vay est triturant et addictif, son rythme changeant déroute, perturbe, aucune page n’est prévisible, tout comme le héros pas si in. Prose ludique, parfois mutine, crue, cruelle même, parfois ça gicle, ça règle des compte, et on se cogne contre ce texte à tiroirs, on se perd, s’éprend, se reprend, et l’on replonge dans la mise en abîme, le roman dans le roman, on croit ces personnages qui se font leur cinéma, de chausse-trappes en chaussures à talon, d’existences usées en usurpations d’identités… certaines scènes virent au surréalisme. Deux personnages n’en font qu’un tandis que celui/celle-là est dual(e). Aucun(e) n’est vraiment cernable, invitant pourtant à s’identifier à lui/elle.

Au bout du compte, le roman traduit parfaitement l’atomisation d’une société où règnent les fantasmagories numériques. Exister par des clics n’évite pas de prendre des claques. Ce roman des tréfonds psychologiques révèle ainsi un fond social, film d’une époque où chacun(e) aimerait « regarder du côté des étoiles autrement que sur Amazon ».

Le livre terminé, on n’en a pas fini avec lui ; on ne sort pas indemne de cette expérience de lecture. Il a semé le trouble et les questions fourmillent : existe-t-il une écriture féminine ? Y a-t-il une psychologie masculine ? Je ne sais pas. Je ne sais plus… Et c’est très bien ainsi. Merci Céline.

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Un livre fou !

Critique du 11/05/2016, Babelio : Mariage à demi, de Robert Dorazi

 

Fou oui, et pas qu’à demi ! Fou à lier… un homme avec sa moitié de lui-même, moitié féminine il va sans dire puisque notre homme n’aime que les femmes, toutes les femmes. Et il a beaucoup d’appétit, du genre direct avec toute silhouette qui possède des courbes féminines. Mais c’était sans compter avec cette autre… Une certaine Sarah (on n’ose pas dire une Sarah certaine, car franchement, de quoi est-on sûr ?). Un roman frappadingue, d’autant qu’un maillet apparaît comme objet central de cette histoire. Bien que pétries dans l’humour décalé, les hémigamiques aventures de Manu Fretin entraînent le lecteur dans une situation dont l’absurdité suit sa propre logique… le plus normalement du monde. Ce n’est pas qu’on y croit vraiment (quoique…), mais la cause défendue par Manu devient plausible : il n’est qu’à voir le parcours juridique, à la fois tordant, tordu et imparable ! Et que dire du calcul du degré de zombification de la société par une simple équation ? Logique. Les allergiques aux maths seront même réconciliés avec la matière. Manu Fretin est entouré de gens « normaux » qui semblent parfois plus déjantés que lui ! C’est là tout le talent de Robert Dorazi d’avoir su mettre en place une mécanique jubilatoire qui finirait par faire douter sur ce qui nous paraît habituellement cohérent… On ne se regarde plus de la même façon devant la glace.

Un bouquin brillant et drôle : c’est mon avis et je le partage.

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Du côté de la barbe est la toute-ignorance

Critique du 29/06/2016, Babelio : L'Education conjugale, de Jean-François Pissard

 

De but en blanc, une constatation : les romans de JF Pissard que j’ai eu l'opportunité de lire ont au moins trois points communs (obsessions ?) : l’enracinement dans une région que je connais bien (toponymie d’un lieu par-ci, élément de syntaxe sûrement inconscient par-là), un regard sociologique souvent drolatique porté sur le quotidien, et un désir de cerner les rouages et ressorts de la psychologie féminine.
L’Éducation conjugale est écrit un peu comme le journal de bord égocentré d’un homme qui veut comprendre les femmes... et surtout la sienne. Les scènes, dans une transcription cinématographique, iraient du romantisme d’un Lelouch au burlesque d’un Pierre Richard ; d'un zoom sur deux mains tendrement prises à un plan large sur un bon coup de pied au c**. Mon passage préféré reste celui des retrouvailles avec la mère, en Suisse, teinté d’un humour un peu british, cadencé par un phrasé subtil qui rend l’atmosphère vraiment touchante.
Ensuite, le personnage principal retourne valdinguer dans ses expériences. C’est que c’est un drôle d’énergumène, ce Woody ! Pas toujours fin il faut l’avouer, mais il met du cœur dans ce qu’il fait ; un grand gamin, un ado attardé un peu couard - de nos jours on dit « adulescent » -, pas fondamentalement inadapté socialement, mais sacrément tête-à-claque. Ses copains un peu lourds, ses expériences professionnelles hétéroclites et décousues, toute sa routine à la limite du borderline.
Mais un immature conscient du fossé qui le sépare de sa compagne. Et, il l'aime, oh que oui ! Mais bon sang, on se dit qu’il a de la chance de l’avoir, sa Dana, car plus d’un lecteur mâle aimerait être à sa place, c’est-à-dire à côté de cet archétype de femme belle et intelligente. Mais que fiche-t-elle avec un gonze pareil ?
Alors Woody avance, il teste, se goure, fait des bourdes (et pas que des petites). Le zigue nous est tantôt attachant, tantôt agaçant. Le genre à tenter l’improbable… pour arriver à des résultats catastrophiques parfois prévisibles. Il veut savoir, le Woody, s’imprégner de l’esprit féminin, alors il écoute attentivement Mireille Dumas à la télé, pioche dans les magazines pour nanas adolescentes puis dans les livres de Simone de Beauvoir, preuve « d’avancées psychologiques » assez irréfutables ; et le voilà qui tente aussi l’épilation intégrale, le port de jupe avec croisement et serrement de jambes (à essayer, avec une balle de ping-pong), etc. De savoureuses analyses étayent ce difficile apprentissage comme celle sur l’absence de pédagogie sexuelle chez les garçons : « Nous ne sommes que des autodidactes ». Bien vu. Woody gagne en lucidité, il sait qu'il ne sait rien, donc il en sait un peu plus que la moyenne des hommes qui eux croient savoir. Oui, on sent qu’il progresse, Woody, à force de prendre des claques réelles et figurées, et nous aussi (nous, lecteurs masculins néanderthaliens).
Un roman distrayant et turbulent, par un écrivain qui aime les femmes. Les aime vraiment, avec sensualité et respect.

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Aujourd'hui, papa est mort

Chronique littéraire du 23/09/2016, Courrier Français : Poétique de famille, de Allain Glykos

 

Entre humour et gravité, l’écrivain Allain Glykos aborde le thème de la mort d’un proche dans un roman profond et touchant, aux éditions chauvinoises de L’Escampette.

Aujourd’hui, papa est mort. Ou bien était-ce hier. Ainsi aurait pu commencer la Poétique de famille d’Allain (avec deux L, oui…) Glykos. Comme dans ses romans Parle-moi de Manolis ou encore Aller au diable, l’auteur bordelais, grand fidèle de L’Escampette (éditeur à Chauvigny), puise une nouvelle fois son inspiration dans la famille dont la vie est « une pièce de théâtre jouée par des fous ». On ne croit pas si bien dire.

Effectivement, d’entrée de jeu, rien que du très familier, du déjà vécu peut-être, d’où une identification quasi immédiate à ces personnages dont le sort et les décisions successives pourraient être nôtres en pareille circonstance, la mort d’un proche, celle du Père : les coups de fil, l’arrivée à l’hôpital, les pompes funèbres, le partage des meubles et des objets dans la maison du défunt…

 

Une forme originale

 

Et voilà que les phrases s’enchaînent, des discussions sans tirets ni guillemets, ni même retour à la ligne. C’est au lecteur de prendre le texte en main, de savoir qui prend la parole. Un exercice de style exigeant qui offre cependant une entière liberté. Il a de quoi dérouter, mais le lecteur est vite absorbé, et on se laisse emporter par le rythme des échanges verbaux. On ne sait plus qui parle d’une phrase à l’autre, et cette confusion semble épouser celle des sentiments. Confusion face à la nouvelle de la mort du père, la terrible, l’accablante, la douce nouvelle, qui sait ? Face aux souvenirs qui remontent à la surface, aussi. C’est vif, pris dans le quotidien, ça ressemble à ce que tout le monde a vécu, des pleurs, des colères, du faux réconfort, des banalités et des pics vachards, le tout entrecoupé de considérations philosophiques. Les sottises proférées revêtent parfois une dimension mystique et se révèlent infiniment profondes : « Quand aura-t-il fini d’être mort ? » Avec les éruptions de vieilles rancœurs, le chocs des émotions, des ressentis, des convictions, le lecteur assiste à de tordantes séances de lavage de linge sale. En famille, bien évidemment.

Les oppositions et les causes de querelles se mêlent davantage qu’elles ne s’entrechoquent. Les membres de la famille semble dilués les uns dans les autres, du fait de cet enchaînement étonnant des phrases. Qui engueule qui ? Qui critique qui ? La lecture devient franchement ludique : on peut s’amuser à savoir quel personnage parle ; on repère ici – et assez souvent - le frère intellectuel cynique, et là la sœurette bigote – son opposée… On croit à un dialogue, et un troisième personnage se détache. On aurait presque envie de surligner les phrases avec plusieurs couleurs de Stabilo pour y voir clair. Mais, à vouloir tout maîtriser, il y aurait de quoi devenir… fou.

 

Derrière la dérision…

 

Finalement, le personnage qui se distingue le mieux, grâce aux souvenirs ressurgis, grâce aux évocations tendres mais pas toujours, c’est le défunt lui-même ; il se dessine bien dans notre esprit de lecteur ce bonhomme à forte personnalité, bien campé sur ses jambes et ses principes, ce patriarche ambigu qui a su traverser tout le siècle et ses turbulences (le XXe, s’entend…).

Avec la forme utilisée par Allain Glykos et le ton qui s’en dégage (tantôt doux-amer, tantôt franchement ironique), les discussions de la fratrie endeuillée (mais combien sont-ils exactement ces frangins-frangines, sans parler des beaux-frères-belles-sœurs ?) s’apparentent à un monologue. Malgré la dissonance des idées et la rivalités des sentiments, les phrases se suivent, se lient, et les paragraphes homogénéisent la tribu. Les rôles attribués s’effacent. C’est comme s’il n’y avait qu’une seule voix. La fratrie n’est plus qu’un seul individu, pétri par ses propres contradictions, ses paradoxes, ses doutes, ses reniements ; elle devient un personnage en introspection, une seule âme, morcelée et complexe. Dans le deuil, tous ces êtres déchirés entre eux, déchirés en eux, n’en forment plus qu’un, indécis, fluctuant, irrésolu. Comment mieux illustrer la solitude de l’être face au grand questionnement existentiel de la Mort, face au vide immense à combler ?

Les dernières pages sont une jolie pirouette narrative, surprenante et drôlement futée. Elle réjouit et éclaire beaucoup. Réconcilie avec la mort, et surtout avec la vie. Le plaisir du jeu, comme ultime pudeur face à l’inéluctable. Le pari vraiment fou, c’était de tenir cet équilibre entre rire, réflexion et méditation ; il est parfaitement tenu par Allain Glykos.

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Fou et claivoyant

Critique du 01/03/2017, Babelio : Le Journal d'un fou de JeF Pissard, d'après Nicolas Gogol

 

Adapter le grand écrivain russe Gogol à la France actuelle ? À vue de nez, une belle curiosité, voire un défi en pied-de-nez. Et ça, c’est l’affaire de JeF Pissard, agitateur d’idées et faiseur de croc-en-jambe  littéraires, qui aime observer avec malice le résultat obtenu. Le héros gogolien revisité mais toujours timbré croise ici Sarkozy et sa Carla, il ne devient pas roi d’Espagne mais prince de Monaco. La dinguerie du texte originel se calque parfaitement sur notre époque. Derrière la dérision ludique de JeF Pissard, on sent quelques pics bien sentis contre un système dingue, à défaut d'être digne, avec ses journalistes « imbus imbuvables qui aiment faire le buzz », et l’esprit courtisan des politiciens se révèle aussi grotesque dans la France des années 2000 que dans la Russie du XIXe siècle. En cette période électoralo-franchouillarde, la bonne humeur de ce livre ragaillardit et aiguise notre lucidité.

L’autre porte ouverte, c’est bien sûr celle de l’œuvre de Nicolas Gogol dont JeF Pissard nous invite à [re]découvrir l’éternelle jeunesse.

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La tombe du facteur

Récit paru en 3 épisodes sur le blog Images & Regards (FH), 8-13-17/04/2017

 

Je n’ai pas eu à chercher longtemps.

Presque trop « fastoche » comme jeu de piste. Après avoir garé la voiture au bout de la Grande Allée, j’ai emprunté l’un des sentiers perpendiculaires à celle-ci, avec l’entêtante mélodie de The Forest des Cure entre les deux oreilles - « I hear her voice… » -, puis d’instinct j’ai longé le bruit continuel de l’autoroute A10 - « … calling my name… ». J’ai croisé quelques promeneurs : un couple âgé souriant, puis une dame méditative sur un banc, et le chemin sablonneux m’a guidé naturellement, se déroulant comme un long tapis d’apparat, jusqu’à la stèle. Les arbres dénudés d’un printemps encore juvénile m’en avaient même laissé voir la forme, cent mètres avant. Aucun mystère, donc. Aucune émotion particulière. Et quelques chants d’oiseaux pour rendre l’instant plus fluide encore, presque jusqu’à l’insignifiance.

A vrai dire, je suis un peu déçu.

J’avais pensé me perdre et ne retrouver l’endroit que difficilement, le cœur serré et l’âme confuse. En réalité, je n’ai pas retrouvé la jungle de mon enfance. Mon souvenir de l’endroit était resté à hauteur de petit d’homme. Il y avait des arbres gigantesques et ombrageux, sévères et protecteurs de secrets, initiateurs de frayeurs, toute une forêt enfouisseuse, pas si malveillante que ça en fin de compte, mais tout de même un peu ogresse… Oui, des arbres immenses et feuillus – car on devait être en juin, à ce moment de l’année scolaire où s’autorisaient enfin des sorties en plein air. De l’école Jean-Zay – un martyr déjà -, il est probable que nous avions claqué nos sandalettes dans la rue Mergault, pour arriver à l’entrée principale de la forêt domaniale, comparable à une bouche énorme. J’imagine que, tout excités par l’aventure, nous avions pris plaisir à nous laisser engloutir via le petit chemin immédiatement sur la droite, marchant les uns derrière les autres, deux par deux, une fille un gars. Les trois ou quatre hectomètres nous séparant de la stèle valaient un périple autour du monde. Des points de lumière transperçaient les cimes des arbres et dessinaient des formes mouvantes sur le sol. Je dis ça, mais avec les années, la mémoire joue la fantaisiste, elle aime à nous égarer. Ta tombe apparut, bien modeste, je crois me souvenir qu’elle était un peu triste, et la clairière autour très ombragée. Plus que le reste de la forêt. On ne distinguait plus le bleu du ciel à cause du toit formé par les frondaisons se rejoignant au-dessus de nous, de toi. Triste, oui. Pour un gamin, le souvenir c’est d’abord une impression et celle-ci m’a influencé jusqu’à ces dernières minutes où j’ai retrouvé l’endroit. Je revois la silhouette de l’institutrice, cheveux tirés en arrière – enfin, je crois -, je n’entends plus sa voix, mais elle a parlé du facteur, ça j’en suis sûr. Oui, de toi, le facteur, et depuis je te perçois dans mon esprit comme un grand-père vêtu de l’habit et de la casquette gris sombre des PTT. Un héros des temps anciens.

Mais la fascination effrayée de l’enfance s’est évaporée, elle a cédé la place à une sorte d’agacement, une colère sourde… Je râle, je peste de ne pas retrouver ces sensations d’avant. J’ai la mauvaise humeur à fleur de peau. Ah, qu’est-ce qu’on peut vieillir, bon Dieu ! Mais qu’est-ce que je fais ici ? Rien que des troncs plantés, aux branches squelettiques qui ne filtrent même pas les bruits motorisés de l’autoroute. La route de Colombiers est plus proche encore : une voiture et une fourgonnette passent furtivement, déchirées par les filaments de branches ; je tourne la tête et distingue aussi les murs crépis de clair des quartiers résidentiels. Banalité périurbaine des temps modernes. On est à une centaine de mètres de cette drôle de lisière où les habitations et la forêt se font face, de chaque côté de la rivière goudronnée de la route. Sûr qu’ici les clameurs de la Montée-Rouge se font entendre les soirs de match. D’ailleurs, je crois qu’une rue porte ton nom près du stade. Sur ma droite, un peu plus loin, il y a tout le paysage de ma jeunesse, bien transformé depuis : l’école Jacques Prévert et le centre de loisirs - que j’ai vus sortir de terre - , les résidences de la belle Gabrielle et de son Vert Galant, à présent complètement enserrées dans le tissu urbain, le lac de la forêt dont j’ai fait le tour des centaines de fois en rêveur solitaire.

Et toujours la question qui me taraude : pourquoi revenir ?

Ce n’est même pas ta tombe, Camille, et d’ailleurs tant mieux : tu ne reposerais pas en paix dans ce périmètre ouvert à tous les vents, dans cette cathédrale de branchages trop bruyante, si peu propice au recueillement, ou bien au rêve de gamin, même s’il peut virer au cauchemar. Les vieilles ruses légendaires ne marchent décidément plus. Cette histoire de fantôme, on jouait les bravaches en se disant qu’on ne voulait pas vraiment y croire mais elle nous flanquait une de ces trouilles ! Il se disait que tu circulais à bicyclette ici-même, les soirs de pleine lune. Mais qui aurait oser s’aventurer au fond des bois à la nuit tombée pour croiser ton spectre ?

L’endroit n’a maintenant plus rien d’apeurant, de mythique, et c’est cela qui m’inquiète. J’y vois un autre aspect de la « banalité du mal ».

Le bloc de ciment, d’une massivité inélégante se tient dans un espace quadrangulaire de quatre mètres carrés entouré d’une clôture basse d’un blanc défraîchi qui suinte l’ennui et l’indifférence. Ah, des fleurs tout de même. Quelqu’un a donc pensé à toi. Je m’approche de la stèle, du côté où des lettres sont gravées. Je m’accroche à l’espoir de ressentir quelque chose en rapport avec ton histoire tragique… Mais ton nom s’est un peu effacé. L’ouïe reste sollicitée pendant que je scrute : une grosse voiture qui roule en trombe, toujours route de Colombiers ; une tondeuse à gazon qui s’enclenche à quelques centaines de mètres derrière moi ; un bruit de klaxon vers les rues Mergault et Rabeau. Ce lieu m’apparaît alors comme le symbole du monde tel qu’il est devenu : frénétique et amnésique. J’étire mon cou vers la plaque gravée. M’écorche un peu les yeux à déchiffrer les mots, inscrits en rouge, comme du sang qui aurait séché, en lettres capitales… « Capitales » en effet, car seules garantes d’une mémoire, aussi imparfaite soit-elle.

 

                … ICI LE 19 AOÛT 1944

                    AUDINET CAMILLE …

 

… Camille, un prénom de fille de nos jours, tu sais, mais parfaitement mixte à ton époque.

Allez Sherlock, sors-les, les informations déjà recueillies… Qu’ai-je noté… L’Etat-civil complet : Camille Arthur Audinet, né le 13 août 1919… Ta trace, je l’ai retrouvée dans un document de l’Association des déportés internés résistants et patriotes de la Vienne (ADIRP) publié pour le 60e anniversaire de la Libération. Il énumère les victimes de la répression dans notre département pendant l’Occupation. Trace infime. Une ligne pour toi, comme pour chacun des autres. Pas de photo. Je ne sais toujours pas à quoi ressemblait ton visage. Tes descendants conservent peut-être des documents dans un vieux tiroir, un coffre de grenier. Mais ce serait impoli d’aller déranger ces gens pour obtenir des renseignements sur toi. As-tu même eu le temps d’avoir des enfants ?

Je me dis que tu es bientôt centenaire, mon vieux Camille. Enfin, vieux, on se comprend. En ce 19 août 1944, tu as eu 25 ans il y a moins d’une semaine… Bon anniversaire. Atteindre le quart de siècle, c’est un sacré événement ! Je me demande si tu as reçu un cadeau pour l’occasion, un mot gentil, le baiser d’une fille, l’accolade d’une mère, la tape sur l’épaule d’un frère, d’un ami... Surtout en ces temps si troubles et si rudes, ç’eût été réconfortant…

Centenaire, que dis-je… excuse-moi, tu n’as que 25 ans, 25 ans pour toujours, et je me rends compte que moi, en ces temps de modernité insensibles, j’en suis à l’âge d’être ton père.

Sais-tu Camille que la lecture d’un nom, gravé dans la matière, me donne toujours la même impression diffuse ? Une sorte de spleen romantique mêlé d’angoisse face au temps qui passe, efface, face à la mémoire des hommes qui se trompe, s’estompe… La mélancolie est toujours là, variant quelque peu ses teintes ; elle était plus apaisée au-dessus de la pierre tombale de Marie Paillard, « demoiselle de Noizé » décédée en 1674, sise dans cette église pré-romane désaffectée au milieu des champs, dans le calme de la campagne poitevine entre Vienne et Deux-Sèvres ; plus douloureuse avec les traces retrouvées de Marcel Blanchard…

 

                 … FACTEUR DES PTT A COLOMBIERS …

 

En guise de clin d’œil – et de très mauvais jeu de mots, tu m’excuseras - je dirais que tu fus un homme de lettres. Mais je cesse de faire le malin. Tu étais un jeune facteur intérimaire, Camille, tu vivais à Corcet, sur la commune de Naintré. Là où ont vécu mes grands-parents. Hé dis, ce n’est pas rien comme point commun !

Mais qu’est-ce que tu fichais là, où s’érige à présent cette stèle, presque à l’entrée de la ville, en ce funeste 19 août 1944 ?

Ça canarde depuis le début de l’été. Il n’y a jamais eu autant de victimes depuis la débâcle. C’est même pire qu’en 40 : les civils ne sont pas épargnés… La ville a été bombardée trois fois par l’aviation alliée : le 11 juin, cinq jours après le débarquement de Normandie, les quartiers de la gare et de la sous-préfecture sont touchés, onze Châtelleraudais périssent sous les bombes de ceux qui nous libèrent ; le 15, c’est la forêt qui est frappée ; et dernièrement, le 10 août, le centre-ville.

Je te le dis Camille, ça va continuer après toi… Quatre fusillés au collège Berthelot le 25 août 1944… Le même jour, pas loin du pays châtelleraudais, le village de Maillé est massacré et incendié par un régiment de SS… Plus au nord encore, Paris est libéré. La chronologie sait jouer la cynique, tu ne trouves pas ? Une semaine plus tard, le 1er septembre, le pont Henri-IV, miné par les Allemands, est sauvé après des négociations menées par Marcel Wiltzer, sous-préfet collaborationniste qui gagnera ainsi sa réputation de héros local. Je l’aime ce pont, oh que oui, mais tout de même… toutes ces vies humaines qui n’auront pas été sauvées, elles... La ville est libérée début septembre. Entre le 4 et le 6, Louis Ripault est rétabli en tant que maire. Notre vieille Manu fête officiellement sa libération le 7 et elle va trimer les mois suivants en fabriquant ce qu’il faut d’armes pour vaincre les dernières poches de la Wehrmacht sur la côte atlantique. En cette fin d’été 44, ça pavoise à Châtellerault, les maquisards défilent dans les rues sous l’autorité départementale des Force Françaises de l’Intérieur. La république est de retour après quatre années de soumission et de terreur. Liberté, Egalité, Fraternité s’étalent sur des banderoles ; on entonne La Marseillaise ; le maire prononce un discours officiel. Début octobre, un conseil municipal de Libération est mis en place. Des défilés, il y en aura jusqu’à mi-octobre et même le 23 novembre 1944 par solidarité avec l’Alsace car Strasbourg vient de briser ses chaînes à son tour.

Tout ça, tu ne l’as pas vécu, Camille. Toi, tu dors depuis le 19 août… « Deux trous rouges au côté droit ».

 

                 … A ETE LÂCHEMENT ASSASSINE ET VOLE ...

 

« Volé »… Ce mot m’inspire presque plus de dégoût que « assassiné ». Pas même un fou furieux convaincu de la suprématie aryenne. Un crime de guerre crapuleux, salement crapuleux…

Mais bon sang Camille, qu’est-ce que tu foutais là… !? Tu ne pouvais pas la faire ailleurs ta tournée, ou plus vite, ou plus discrètement !? Tu l’aurais évitée, cette mauvaise rencontre !

Etais-tu toi-même un type bien, Camille ? Je n’en sais rien. Peut-être ai-je en cette minute de l’empathie pour un gars mal-aimable, antipathique, lâche, que j’aurais détesté si je l’avais connu, à qui j’aurais disputé la même fille à l’école communale, dont je n’aurais pas partagé les idées politiques, le mode de vie, que sais-je encore… Il y a tellement de raisons faciles de ne pas aimer son voisin… Je n’aurais peut-être pas apprécié ta tête, rien que ça, Camille, ou quelque autre bêtise… Je ne suis pas un saint irréprochable. Aimer son prochain et tout ce prêchi-prêcha, pas ma tasse de thé. Je cultive le scepticisme, c’est comme ça. Alors, quel genre de type as-tu été ? Cette question je me la pose tout autant lorsque, face à un monument commémoratif, s’égrène sous mes yeux la liste gravée des « Morts pour la France ».

Peu importe, tu es une victime. Innocente. Une victime est toujours innocente. Tu as rejoint les rangs, trop fournis depuis les origines de l’humanité, des massacrés pour l’exemple, des assassinés au hasard, des otages exécutés…

 

                 … PAR UN MEMBRE DE L’ARMEE ALLEMANDE …

 

Une victime. Comme Marcel.

Qui Marcel ? Mais tu sais bien, Marcel Blanchard, je t’en ai parlé tout à l’heure. Ce petit gars de 17 ans qui t’a rejoint dans l’au-delà, dans l’au-de-rien, une semaine après toi. Ben oui Camille, rien qu’une semaine. Pendant cette période de Libération, douloureuse et sacrificielle. Lui, c’était à Chauvigny, sur l’avenue longeant la Vienne, non loin de l’actuel collège Gérard-Philipe. Les nazis, dans la débandade, n’étaient plus des surhommes qui allaient régner sur le monde pour mille ans. Rien que des fuyards fanatiques qui voulurent signer quelques dernières infamies avant de disparaître. Marcel Blanchard, le frère de ma grand-mère. Son grand frère. Un grand-oncle pour moi, tu l’as compris. Un grand-oncle qui aurait fait passer un ou deux documents à un chef de la résistance locale, lui aussi membre de la famille. On n’a jamais bien su. Quand elle ne ment pas, la mémoire se fait évasive. Ou bien a-t-il été pris au hasard. Pour être exécuté contre un mur. Figé dans ses 17 printemps. 17 hivers. Le grand-oncle Marcel, presque irréel. J’ai retrouvé la tombe pourtant - il fallait que je me convainque -, dans le petit cimetière de Saint-Pierre-les-Eglises ; j’ai vu aussi un portrait noir & blanc de lui, coincée dans le mince espace entre la plaque commémorative et le mur du supplice, déposée là par une main inconnue et que je devine fébrile. Depuis, les joints ont été calfeutrés, la photo sommeillera ad vitam aeternam dans le ciment de l’ignorance et du pragmatisme. Pauvre Marcel. Tué une seconde fois. En août 44, flingué sûrement par les mitraillettes de jeunots aussi imberbes que lui, petits cons sans cervelle et sans scrupule, des salopards comme ceux d’Oradour deux mois auparavant, comme ceux de Maillé, si jours plus tard, comme tous ces crétins encore enrôlés de nos jours dans de je ne sais quelle cause divine et antihumaine… Pardon Camille, je m’égare, je mélange tout. Je ne dois pas ; ça manque de dignité, tu as raison ; je dois lever les yeux vers les cimes, embrasser du regard ces bois qui pourraient être apaisants, m’imprégner de la force brute de la nature. Respirer.

 

                 … DONT LE CRIME EST RESTE IMPUNI …

 

Qu’est-il devenu celui-là ? A-t-il bien dormi le restant de sa vie ? A-t-il eu des enfants ?

L’impunité, elle se nourrit du silence, celui des lois d’amnistie, de la respectabilité des sociétés ultramoderne qui n’imaginent pas la potentialité du retour du pire et qui produisent, consomment, effilochent la conscience, et l’impunité se nourrit alors, aussi, du bruit, celui de la vie qui continue, qui s’en fout, celui des va-et-vient – ces foutues bagnoles indifférentes, ces vrombissements…

Je repense à ces fadaises, celle du récit de ton âme errante à la nuit tombée. Il faut être un « drôle » pour croire ça, et je pensais que celui que je fus était mort aussi. Pourtant, une sensation émerge : je tremble un peu à l’idée de rentrer trop tard, après le crépuscule. Risible, n’est-ce pas ? Ce gamin n’a pas disparu. Il est resté enfoui dans l’inconscient, et c’est toujours lui qu’on cherche vainement dans les plaisirs fugaces de l’existence. Nos peurs, nos rêves de gosse sont encore là, sous le vernis de la rationalité adulte. On reste hanté par notre enfance. Les spectres, tous les autres, hantent aussi notre conscience collective et, parfois, le voile du quotidien se déchire.

Les voitures peuvent passer et repasser, les saisons aussi, la mémoire reste tapie, et c’est à notre conscience humaine de venir la cueillir.

 

                 __________________________________________

 

Je distingue un trait, dont le rouge est en partie effacé. Tirer un trait. Sur le souvenir ?

Non, la rainure restera, elle. Inaltérable. J’aimerais qu’elle soit le symbole du travail de mémoire par la pédagogie, la pensée, la résurgence des souvenirs, la parole qui se libère.

Dans quelle mémoire ai-je plongé, Camille, pendant toutes ces minutes ? La mienne ? La tienne ?

La nôtre, tout simplement.

Je vais finalement m’assoir sur ce banc, pas loin de la stèle. Attendre, au milieu du bruissement des premières feuilles. Les pétarades des moteur se feront plus rares en soirée, la nuit m’enveloppera peu à peu, en même temps qu’affleureront d’antiques impressions de môme, les arbres vont s’épaissir, l’obscurité se densifier. L’homme de doute et l’enfant impressionnable, le prof sévère et l’écolier timide ne feront plus qu’un ; serein.

Je te verrai alors, nimbé d’une lumière pâle, juché sur ton vieux biclou, sacoche en bandoulière. D’un léger mouvement de tête ou d’un petit signe amical de la main, nous nous saluerons.

Persuadés l’un et l’autre que les lettres et la mémoire parviendront à destination.

 

< Suite à la parution de ce texte... 

Dans La Nouvelle Républiquehttps://lc.cx/cX9X 

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Un grisant clair-obscur...

Critique du 03/07/2017, Babelio : Sois sincère, recueil de nouvelles de Didier Betmalle

 

Sincère ? Et comment ! Ce ne sera pas difficile, car ce livre est de la trempe de ceux que j’aime lire, écriture maîtrisée et esprit un peu anar.

« Mon silence m’obsède et c’est à ça que je pensais d’abord… » Cette phrase est de celles qui résonnent encore – et fortement - après la lecture de cette succession de nouvelles à la douzaine, tellement libres et surprenantes qu’il est impossible (à moi en tout cas) d’y accoler une étiquette. Et franchement, c’est bon signe qu’un imaginaire d’auteur dépasse ainsi les bornes. Il en émane de l’étrangeté, ça c’est sûr, teintée d’humour un brin surréaliste et de ce qu’il faut d’érudition pour élever le lecteur sans jamais l’écraser. Comme il faut bien se rassurer en peu, on pourrait dire basiquement qu’il s’agit de récits d’une grande diversité ; ça part d’un amour pour une sourde-muette aux commérages pathético-hilarants d’habitants d’un immeuble, en passant par l’évocation d’une courge anthropophage ou d’une limace ponctuelle en pleine croissance – idées qui alimentent inévitablement la curiosité. Mais un tel résumé ne suffit pas…

Quels que soient les ingénieux dédales narratifs choisis par l’auteur ici ou là, la cartographie mentale des personnages fait écho à nos vies bringuebalantes et à nos désordres intérieurs. Ça  suinte d’une humanité vraie. Je veux dire : velléitaire, lâche parfois, déglinguée certainement. Des fracassés de la vie mais toujours un peu responsables de la leur ; ou tout simplement des êtres enferrés à leurs peurs, leurs obsessions, leur idiotie aussi. Ils font ce qu’ils peuvent, vont même jusqu’à transformer ce qu’ils peuvent en ce qu’ils veulent. Veulent-ils se libérer ? Didier Betmalle sait y faire pour entretenir la part d’ombre dans et autour de ses personnages. Au point même qu’il m’a paru que tous les narrateurs n’en formaient qu’un seul, infiniment complexe et paradoxal, se racontant, racontant une humanité à la vision lucide ou hallucinatoire qui la rend capable de balancer entre l’incompréhension ténébreuse et la lumière. Un personnage, sur le seuil de son appartement - et d’autre chose peut-être, sans doute - a « l’impression de flotter, minuscule et perdu, dans une lymphe lumineuse ». Et un autre de confier : « Si je perdais un tant soit peu de ce flou qui me caractérise, alors je serais condamné à une mise au point progressive et générale, et donc au calcul ». Marge et folie seraient tout compte fait garantes d’une certaine liberté. L’auteur utilise la sienne : il s’amuse, nous amuse, il nous promène, nous fait peur aussi - mais on aime rudement ça ! Liberté ô combien contagieuse, chacun/e pouvant doser son interprétation, cheminer à nouveau parmi ces textes très denses pour y trouver des pistes nouvelles et des questionnements inédits.

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Aveu d'un ignare déboussolé [2] | Version brute

Critique du 12/07/2017, Babelio : Boussole, de Mathias Enard

 

Boussole, de Mathias Enard, prix Goncourt 2015. Un pavé qui m’avait laissé un sentiment étrange, tiraillé entre l’admiration sincère et l’agacement profond. Dans un article de la presse hebdomadaire, j’ai d’abord laissé parler l’admiration, m’alignant de bon gré sur une « positive attitude » liée au contexte troublé (les attentats terroristes de 2015). Quelques mois plus tard, pour le compte de personne, je n’ai plus caché ma déception…

Hé bé, pauvre sot, quelle lecture t'es-tu infligée là…

Que ce fut éprouvant ! Une sorte de L'Orient pour les nuls… pour leur faire bien comprendre qu'ils resteront profanes à jamais. Que j'ai pourtant aimé les volutes d'opium des premières lignes ! - pensant qu'elles me feraient franchir les portes d'un pays de merveilles. Ah envoûtant Orient, extase magnifique, les plus grands t'ont raconté, chanté, loué ! Ils m'attendent ! J'ai donc tenu à aller au bout des rêveries d'insomniaque de ce Franz Ritter, en m'auto-suggérant à chaque page, même la plus pédante et indigeste parmi des dizaines d'autres, également indigestes et pédantes, que ce voyage oriental et savant pouvait apporter une belle surprise, à n'importe quel moment, y compris celui où l'on désespère vraiment de pouvoir rêver ne serait-ce qu'un chouïa. De fait, la patience a parfois payé : il y eut de belles découvertes, un peu magiques même, dans cet immense fatras des mille et une cuistreries.

Page 27, la lassitude est déjà bien installée, et on sent que la traversée du désert va être longue-longue-longuette, qu'il soit saharien, arabique ou gobique. Franz, plongé dans ses souvenirs, énumère encore et toujours des connaissances – qui sont les siennes autant que celles de l'auteur -, précises, cliniques. Le ton docte est celui d'un professeur d'université, pas d'un paumé amoureux d'art à la lisière de la mort. Lui nous aurait intéressé. On décroche souvent. On suit des yeux des noms de livres, de thèses, d'œuvres d'art, d'artistes… dispersion… Où est le nord ? Heureux les érudits qui peuvent pisser de la ligne rien qu'avec leurs références culturelles. L'inventaire « costaud » et foutraque concerne la musique, l'histoire, l'architecture, la peinture, et Dieu sait que tout ça pourrait [devrait] captiver, mais l'auteur se regarde écrire des choses intelligentes vite inintelligibles. Un amas confus, abscons. Cher monsieur, autant ne rien nous dire si vous ne voulez pas partager…

Certes, on trouve çà et là des réflexions pertinentes, mais le fil hésite entre romance avec la sublime intellectuelle Sarah et des extraits de revues spécialisées dans la musicologie ou l'art baroque. L'étalage en devient puéril. On se dit alors que cette bête de Goncourt est à l'opposé des romans du génial Umberto Eco chez qui l'érudition est gourmande et généreuse. Cette « Boussole » m'est apparue comme une entreprise littéraire totalisante, dont l'objectif serait d'englober tout le savoir et tout l'imaginaire sur l'Orient, sa magie, son essence. Lawrence d'Arabie, Liszt, les combattants marocains en 14-18, les poètes persans, les maîtresses de Flaubert... rien ne doit échapper à l'auteur ! Celui-ci a choisi, dans une obsession peut-être très occidentale, de chosifier ainsi, d'opter pour la complétude. Le bouquin pourrait dès lors au moins présenter une commodité encyclopédique et offrir, comme certains ouvrages d'Alberto Manguel, une ouverture vers d'autres lectures. Mais ce pavé bourratif ressemble à une gigantesque bibliothèque pas ou mal rangée dont on souhaiterait lire chaque ouvrage, et on maudit le bibliothécaire qui semble avoir pris plaisir à ne pas classer et ne transmet rien. Ceux qui comprennent en savent autant que lui et le félicite de refléter leur égo magnifique. Les autres sont laissés à leur insuffisance. Voilà tout ce que vous ne saurez jamais. Merci. de toute façon, « il n'y a que des insomniaques pour écouter Die Ö 1 Klassikracht dans leur cuisine. Schumann ». Et bing.

Bref, ce livre-contenant contient bien tout le contenu. L'Orient est saisi, empaqueté. Mais le nigaud pauvre mortel que je suis se dit in petto que pour humer de son mystère - car nom d'un djinn et bon sang de bois il y a forcément un mystère de l'Orient ! -, l'évocation d'un poème de Nerval ou quelques phrases de Loti picorées dans Aziyadé auraient peut-être suffi.

Bon, soyons honnête : l'auteur montre un peu d'humilité lorsqu'il concède qu' « il y aurait une apostille à rajouter à mon ouvrage, une coda, voire un codicille ». Faites donc, monsieur. Il faut d'autant moins accabler ce livre-fleuve qu'il laisse des traces (une traversée de désert, ça laisse forcément des traces). L'écriture se fait parfois belle, agrémentée de vraies idées d'auteur , telle la lumière bleutée de l'ordinateur dans la nuit, comparée à une œuvre de Paul Klee (et je n’ose pas imaginer que le romancier-savant ait confondu avec Yves Klein) ; ce sont ces petits miracles qu'on aimerait savourer, ces idées simples, assez magiques et pas moins profondes que le savoir universitaire étalé de page en page. Des passages captent l'attention, des récits dans le récit qui se seraient suffi tant ils peuvent être lus comme des ouvrages quasi-indépendants. J'ai ainsi apprécié la confession avinée – enfin, pas vraiment avinée puisque arrosée précisément de vodka arménienne – de l'orientaliste Gilbert de Morgan, éconduit spirituellement par la superbe Azra, dans l'Iran révolutionnaire. Une mise en abîme du narrateur qui relit de vieux écrits ; une nouvelle à part entière ; une oasis salvatrice dans l'étendue du roman. La justesse du propos sur l'Iran s'y révèle digne d'intérêt, avant de s'éparpiller de nouveau et de se noyer dans des considérations savantes.

Voilà, c'était l'aveu d'un ignare déboussolé... mais pas découragé devant ses rêves d'Orient.

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La rue Oulianovskaya

Texte publié sur le blog A qui mieux mieux (Maud Ménès), 01/08/2017

leblog.aquimieuxmieux.com/texte-de-david-pascaud/

 

            Le vieil homme s’embrouillait dans ses explications. Il semblait ne pas savoir où se trouvait la rue Oulianovskaya, et par conséquent ne pouvait m’indiquer l’emplacement du musée ethnographique dans cette rue. Peut-être même la confondait-il avec une autre. Les rues, comme des villes entières de ce pays, ayant changé de nom depuis la chute de l’empire communiste.

            Mais le vieil homme continuait de parler, avec les intonations chantantes et contrastées de cette langue magnifique que je regretterai toujours de ne pas maîtriser assez ; il parlait, parlait, en moulinant les bras à la manière d’un chef d’orchestre et en faisant danser les rabats de sa chapka, tout heureux visiblement de renseigner un jeune étranger. Je ne saisissais rien d’autre que la terminaison en « itié » de certains mots, indice du vouvoiement à mon égard. Ses yeux pétillaient d’une générosité vraie ; des yeux qui m’avaient pourtant semblé mornes avant de lui adresser la parole. Deux orbites de mélancolie profonde et fataliste dans une silhouette grise et voûtée. Il me rappelait une vieille Kurde musulmane de Diyarbakir, visage creusé de rides et enserré d’un voile, dans un dolmush poussiéreux et bondé du fin fond du fond de l’Anatolie, et les « élans » magnifiques de ses yeux soudainement immenses après que j’eus laissé, sans trop y réfléchir, ma place assise à une jeune femme enceinte. Ainsi qu’un autre vieillard de Moravie qui m’avait secouru - le mot n’est pas trop fort, non… –, appuyé sur sa canne, chapeau de feutre usé vissé sur le crâne, en m’indiquant les horaires de bus de Telç à Brno, à moi, petit baroudeur occidental, infime maître du monde, paumé et incapable de les déchiffrer tout seul. D’autres visages, de tous les âges, de tous les types, ressurgissaient pêle-mêle dans mon esprit : ce gamin hemshin des montagnes caucasiennes, habits de pauvre, tignasse malicieuse et paumes ouvertes ; cette trop jeune fille sur un trottoir pragois, jouet des plus infâmes salauds, regard éperdu qui se fixa sur moi d’une façon bien plus suppliante qu’il ne le faisait sur les autres ; l’homme de l’humble pièce du fond, cigarette au bec, dont la vie écrit des poèmes, dont les doigts pleurent ; je pensais à tous ces êtres qui ne sauront jamais qu’ils se ressemblent tant. A chacun d’entre eux qui m’aida, m’éclaira, me rendit moins con, moins insensible. Me sauva à sa manière.

            Le vieil homme parlait plus lentement, un voile recouvrait sa voix. Il paraissait désolé de ne pouvoir m’aider davantage. Je lui bafouillai quelques phrases mal fabriquées pour lui signifier que j’avais très bien compris ses explications, prêt à m’élancer avec résolution dans la direction qu’il m’avait indiquée en premier, la seule dont je me souvenais. Il parut rassuré.

            Nous nous séparâmes avec de larges sourires, après une longue et franche poignée de mains, nos « spassiba » appuyés et réciproques ne formant qu’un seul écho.

            Je me sentais léger, fier comme un gamin qu’on aurait félicité pour ses premiers poils sur le menton. Mon sac à dos devait ressembler à un cartable, mon bonnet fidèle enfoncé jusque sous les sourcils me rajeunissaient encore. Les trottoirs de fin d’hiver étaient encore bien sales, recouverts de la neige de la raspoutitsa, mal fondue, boueuse, qui éclaboussait les bords de mon pantalon.

            Je claquais presque volontairement de mes chaussures épaisses ces flaques dégoûtantes. L’esprit rieur, je ne savais toujours pas où se trouvait la rue Oulianovskaya, ni évidemment le musée ethnographique. Mais cette direction hasardeuse me plaisait…

            Elle était bien la meilleure qui pût être.

 

< Saratov, 2 avril 1996 | Extrait de « Flâneries obsessionnelles »

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Un pont pas assez loin

Critique du 07/08/2017, Babelio : Naissance d'un pont, de Maylis de Kerangal 

 

Séduit par Réparer les vivants, je me suis lancé dans la lecture de cet autre roman de Maylis de Kerangal. Pas une découverte donc, mais une confirmation. Celle d’une virtuosité de l’écriture. J’ai retrouvé ces longues phrases – à la cadence parfois déroutante – qui ont leurs détracteurs mais que pour ma part j’apprécie. L’auteur prend la langue à bras le corps et veut lui faire dire tout (et il y a beaucoup à dire sur un tel sujet !) et c’est peut-être pour cela qu’on sent l’application d’une bonne élève (que dis-je, une brillante élève). La crasse des quartiers populaires est décrite proprement, l’effervescence d’un chantier avec méthode, à la virgule près. Maylis de Kerangal travaille son roman comme Georges Diderot bâtit son pont : avec la passion des matériaux (les mots pour l’écrivain) et l’exigence dans leur choix. On sent que la chère Maylis veut quelquefois jouer l’impertinente, provoquer des turbulences, avec un phrasé parfois plus heurté que fluide, du discours direct qui s’invite dans la narration, sans guillemet – c’est plus moderne, pas vrai ? – mais cela épouse bien l’édification progressive et chaotique de l’ouvrage (je parle du pont) avec ses contretemps saisonniers, incidents techniques, tensions sociales, heurts psychologiques… Dans les enchaînements et les articulations d’une phrase, il peut y avoir du « trop » : l’adjectif de trop, la métaphore de trop, la périphrase de trop… Mais on ne peut pas reprocher à cette plume d’être abondante et de chercher à édifier l’ouvrage (je parle du roman) en y ajoutant et ajustant tous les boulons possibles, même ceux qui ne servent à rien. Du coup, l’ensemble tient bon. C’est costaud, charpenté. De la belle ouvrage, comme on dit. Et la vue est belle, les phrases s’envolent parfois, il y a du lyrisme dans le béton.

La ville imaginée s’appelle Coca : difficile de trouver mieux pour en faire l’emblème de la mondialisation. Avec ses airs californiens elle est surtout la synthèse des grandes métropoles contemporaines en expansion. On pourrait tout aussi bien être au Brésil, en Afrique occidentale, en Asie du sud ou de l’est. Peu importe, c’est le récit d’une époque. Les personnages viennent de partout et se côtoient dans un univers cosmopolite. Toute une humanité foisonne autour de ces milliers de tonnes d’acier et de béton. L’auteur chasse-croise les vies de plusieurs protagonistes reliés – si l’on peut dire – par ce pont gigantesque : des ouvriers, des grutiers, des ingénieurs, des politicards qui sont aussi des mères, des ambitieuses, des amants, des voyous, des migrants… Sur le pont de Coca, on y danse ses ambitions, on y tourbillonne, au risque de se prendre les pieds dans le tablier. La symbolique des êtres liés entre eux, passant d’une rive à une autre, est un peu facile, mais il y a de ça. Le pont, c’est une opportunité balancée pardessus les obstacles – sociaux, psychologiques, ethniques, familiaux, etc. -, qui permet d’atteindre l’autre rive. Le voile se lève peu à peu sur chaque personnage, avec ce qu’il faut de fêlures, désirs et rêves. Même le bridgeman Diderot est plus philosophe qu’il en a l’air. C’est toujours captivant, très enlevé, donnant un récit global qui brasse beaucoup d’idées, de sentiments. Frénétique et nerveux comme l’est le monde, bouffé par une sur-urbanisation violente. Un monde de construction et de destruction. Ce qui naît, tue et enterre ce qui a été. Un livre véritablement dans l’air surchargé du temps qui pourrait même servir de piste à des profs en quête de projets pluridisciplinaires : langue française, géographie urbaine, technologie, sciences de la vie et de la terre, lois physiques… Tiens, encore un pont.

C’est là que pointe mon (petit) regret : le pont réconcilie justement un peu trop facilement. Le roman devient celui des passerelles entre les improbables, et ça aussi c’est assez californien – hollywoodien, si vous préférez -, avec happy end envisageable. Tout le pont il est beau tout le pont il est gentil. Ou presque. L’histoire passe un peu vite à mon goût par-dessus le pognon sale, la corruption, les revendications syndicales, le désastre écologique et humain… Le roman échappe certes au politiquement correct, mais il aborde ces thèmes sans les approfondir. La grande fresque sociale me semble incomplète. Un pont pas assez loin, peut-être…

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Interview D. Pascaud par Jerkbook JF Pissard (juin 2017)

Ici est le terme

Texte publié sur le blog-site Impromptus (Thierry Bellaiche), 19/09/2017 

http://thierrybellaiche.com/ici-est-le-terme

 

« Un jour, j'ai cessé de voyager ». Ainsi commence le carnet. Son tout dernier carnet de voyage. Il n’y en a plus eu après. Ni voyage ni carnet.

Quelle mouche exotique l’a donc piqué ? La formule est péremptoire, cinglante même, venant d’un type pour qui voyager était synonyme de vivre. Elle est suivie de quelques plates considérations sur le voyage où suinte une lassitude déjà bien mûre. Mais c’est cette phrase - et elle uniquement - qu’on retient dans ce feuillet final d’à peine trois pages. Inconcevable pour celui qui avait fait sienne une maxime de Brel - « Un homme c’est fait pour bouger, pour continuer, pour mourir en mouvement éventuellement » -, qui de fait a beaucoup bourlingué, a fait la vie à Varsovie, le rat à Canberra et joué aux dés à Yaoundé – dixit un autre Jacques -, et parle n’importe quelle langue du monde (surtout quand la sienne est imbibée d’un alcool local). Une phrase posée à la manière d’un il était une fois inversé, clôturant, irrévocable. Sentence aux airs de constat amer pour une résolution que rien ne semblait justifier au moment de l’écrire, ce voyage - le dernier donc, et c’était, je m’en souviens, sous le ciel lumineux de la mélancolique Lisbonne – s’étant déroulé dans une relative harmonie. Un soupçon de fado chopé dans l’Alfama, peut-être, comme on attraperait un sale rhume. Qu’est-ce que je pourrais en savoir, de l’état d’esprit qui l’agitait ou l’accablait au moment précis où ces mots ont été jetés ? Je les ai lus, relus, articulés, en moi ou à haute voix, en m’efforçant de m’imprégner de chaque syllabe afin d’en retrouver la musicalité originelle. Sont-ils ceux d’un homme à bout de souffle ou à bout de nerf ? Je connais ses lassitudes ponctuées d’explosions. On pourrait interpréter diversement cette fichue phrase et rester dans le plausible. Sentiment d’accomplissement vis-à-vis d’un monde traversé de part en part pendant des années, commenté, analysé, cerné (croit-il) dans sa complétude ? Besoin de cultiver son propre jardin, avec austérité, loin des éclats de ce même monde, jugé écœurant (ah, que de fois n’a-t-il pas râlé contre l’industrie du tourisme et sa participation malgré soi, malgré tout, à cette foire !) ? À moins que ce ne soit l’écho d’une – tristement – banale crise de la quarantaine. Ou, pourquoi pas, le désir un peu snob de laisser échapper une phrase chic et choc qui ferait causer (hé ben, c’est gagné mon vieux !), une phrasounette qui claque bien, qui sonne littéraire. Oui, je le sais capable, le saligaud, d’être tout ça – orgueilleux, blasé, rigide, moralisateur, colérique, nihiliste, égocentré… -, et en simultané s’il vous plaît, car il n’est vraiment pas à une contradiction près, je vous assure.

La vie a continué. Sans épopée ni projet. « Jusqu’où un monde peut-il rapetisser ? » demande un personnage de Durrell dans le Quatuor d’Alexandrie. À cette question elle-même, probablement, et je crois qu'elle l’obsédait. L’obsède encore. « Je me gaspille. » lâcha-t-il un jour qu’on buvotait un monaco en terrasse. Parce qu’il faisait beau, que le spectacle des filles défilant dans la rue parvient toujours à divertir l’âme un tant soit peu et qu’il faut de toute façon bien faire quelque chose. Ce passionné par nature s’était enferré dans une vie sans passion, tout englué dans cette méditation involontaire imposée par le vide et qu’on appelle Ennui. Je lui conseillai d’aller découvrir (j’évite le verbe visiter, ça le froisse) le château d’Oiron et ses environs. Oiron ? Il fronça les sourcils et se modela un rictus défensif. Je devinai sans mal ce qu’il pouvait imaginer à propos de cette portion congrue du vaste monde, lui qui avait arpenté les trottoirs turbulents et admiré l’auguste verticalité de grandes mégapoles internationales. Un piteux isolement sur quelques arpents de blé et de tournesol. Un endroit sec et taiseux, sans caractère affirmé. Figé dans un espace-temps incertain.

Oiron. Un petit nom parfait pour un trou perdu, tout en rondeur, avec un caillou au milieu. Un peu taquin tout de même, le genre à se loger dans la semelle de la certitude. « Tu veux que je survivote, hein ? », qu’il ironisa. J’avais titillé sa fierté. Bingo. Oiron Oiron petit patapon, une tranquille petite échappatoire sans relief mais sans désagrément non plus, impeccable pour recouvrer un peu d’humeur badine. Il n’avait que du temps à y perdre. Donc pas grand-chose.

Il marmonna un « Mouais, pas mal ton idée… » en louchant sur la jupe d’une nana qui passait devant notre table. Le regard avait perdu de son pétillant. Ayant l’habitude de jauger le loustic, je pense qu’il s’agissait pour lui de se fondre dorénavant dans le rien, pour ne plus avoir affaire au trop-plein du monde. Ou plutôt le presque rien. Un quasi no man’s land offrirait l’épure idéale, balaierait le superflu, assurerait un contentement simple et sans chichi, sans surenchère. Le genre d’endroit qu’on ne se vante pas d’avoir vu, car n’importe qui s’en foutrait invariablement.

Mais je me rends compte que je parle déjà de ce lieu à ma façon, pas nécessairement à la sienne. Pour être honnête, je ne sais pas si ce coin paumé lui aura laissé la même impression salvatrice de décalage. Je lui souhaite.

Pour s’y rendre, il faut rouler en direction de Neuville-de-Poitou, Mirebeau (la capitale des baudets, ce qui présage plus ou moins le bestiaire qui va suivre…), Moncontour, arriver aux confins des départements de la Vienne et des Deux-Sèvres (pour un républicain), des rhumatismaux Poitou et Anjou (pour un nostalgique d’Ancien Régime), bifurquer à droite à la sortie d’un village dont le saint nom laisse une impression évasive et glaiseuse : Saint-Jouin-de-Marne. Le château se voit de loin, cinq bons kilomètres, petite protubérance tout là-bas, sur la ligne d’horizon. Plaine, morne plaine, par où l’ennemi ne viendra jamais et ne fera personne héros. La route déroule son asphalte à travers champs jusqu’au bourg d’Oiron. Pas âme qui vive. Une plaque Michelin indique la direction du château. Un long mur de pierraille à longer. Un parking semi-circulaire sous des arbres qui ferait presque figure d’oasis sous le cagnard qui plombe, de l’autre côté de la route face aux grilles du château.

Celles-ci franchies, premier constat subjectif : c’est beau. L’un des châteaux les plus bath, à mes yeux, de tout le Val de Loire (au sens géographique élargi). Du Renaissance de belle facture mais sans les vallonnements bucoliques, ni la présence immédiate d’un majestueux cours d’eau. La bâtisse en impose d’elle-même, sans l’environnement ad hoc. Nous sommes dans le domaine de la noble famille des Gouffier, parmi lesquels il faut citer Claude, archétype du gentilhomme du XVIe siècle : mécène raffiné et grand prince décideur. Il fut Grand Écuyer de France à partir de 1546, à la fin du règne de François Ier puis sous Henri II, et le cheval, ça vous conforte dans le statut de very important person à cette période. Oiron rime avec canasson : avec les écuries du rez-de-chaussée, ça devait puissamment sentir le cuir, le crottin, le crin suant, et je ne parle pas des bruits de sabots et des ébrouements. Les bâtiments forment même un fer à cheval anguleux qui encadre la cour, aussi minérale qu’une place urbaine d’Espagne ou d’Italie. Certes, le château n’écrivait pas encore un U à l’époque de Claude, puisque la deuxième aile a poussé un siècle et demi plus tard par la volonté d’une autre Poitevine au sang bleu : la marquise de Montespan. Au premier étage de l’aile contemporaine à Claude, une fresque de l’école de Fontainebleau retrace l’Iliade homérique (rapport au cheval, forcément…). Dédiée au Roy François, elle prouve que l’art de léchouiller les bottes n’est pas nouveau.

La première fois, je m’étais heurté à tout ce décorum sans magie dans le cœur, tout en convenant avec raison de sa beauté hiératique. Mon cynisme avait matière à s’aiguiser grâce à ce style Renaissance empoussiéré servant d’écrin à un musée d’art contemporano-kitsch au prétexte de coller à l’esprit des cabinets de curiosité des Gouffier. L’ensemble imposait quelque chose d’écrasant : du royal avec le buste du barbichu François Ier, la devise latine des Gouffier gravée dans la pierre blanche et les sièges à pieds en balustre sur lesquels la Montespan avait posé ses fesses de soie (sur les sièges, pas sur les pieds) ; du présomptueux avec cet art contempo-machin imbuvable ; du royal & du présomptueux avec la susdite fresque, hideuse et monumentale, racontant la guerre de Troie à grands renforts de volonté jupitérienne, de combats virils et de palais en feu. À se demander si les plus glorieuses civilisations ne seraient pas un peu rongées par les mythes. Odeurs de salpêtre et parquets grinçants accentuaient la sensation d’abandon grandiose. Un vrai temple des courants d’air et des marchands d’arts.

J’étais en visite – est-il besoin d’accoler l’épithète touristique ?-, un château Renaissance tout de même nécessitait des efforts d’attention. J’avais sollicité mon petit appareil photo Pentax merdico-numérique pour tout re-chosifier, ainsi qu’un calepin pour tout noter sur tout – dates des œuvres, noms et nationalités des artistes, détails architecturaux, etc. -, prêt à remplir mes étagères de bocaux d’érudition à consommer pendant les soirées d’hiver. L’exhaustif en guise d’exhausteur de (mauvais ?) goût. Il fallait tout maîtriser, sans besoin d’apprécier. J’ai conquis chaque mètre carré du circuit didactique avec cette infime pincée de culpabilité, celle-là qui saupoudre le quotidien, altère le vrai goût de la vie. Le vrai goût de soi.

C’est la deuxième visite qui a fait glisser la perception. D’ailleurs, je me demande bien pourquoi j’avais ramené ma fraise un an après ma première [décon]venue. C’est vrai que l’entrée au château ne me coûte pas un rond (un privilège d’agent de l’Éducation nationale). Quitte à s’em…, autant que ce soit gratuit. Autre atout : l’absence - ou disons l’extrême rareté - des visiteurs. C’est intrigant de prime abord, mais j’aime assez cette sensation d’être seul, quel que soit l’endroit, au point qu’on pourrait même se demander comment on se fabrique un tel état de solitude. Mais il fallait plus. Une clef d’entrée à je ne sais quoi. Cette année-là, les combles du château accueillaient une exposition sur un thème un peu abscons. Un tableau de 1963 du peintre Constant intitulé New Babylon – hé, la preuve que je notais vraiment tout jusqu’à ce moment-là ! - était accompagné d’une citation de l’artiste : « La vie est un voyage sans fin à travers un monde qui change si rapidement qu’il en paraît tout autre ». Plutôt ironique de lire ça dans un endroit aussi empesé. Je m’amusais quelques secondes du nom de l’artiste comparé avec l’idée du perpétuel changement. Mais un autre changement, justement, avait commencer de s’opérer. En moi. Le paysage en rouge et blanc du tableau n’y était pour rien ; ce sont les termes dans la phrase qui provoquaient l’étrange ébullition intérieure. L’œil papillonnait. Quelques lignes plus loin, d’autres mots, extraits du Guide psychogéographique de Guy Debord, comme un clou qu’on enfonce (… ou plutôt qu’on retire, l’image serait plus juste) : « Se laisser dériver au milieu des situations, renoncer aux raisons d’agir habituelles, pour se laisser aller aux sollicitations du terrain et aux rencontres qu’il procure ». Petite claque. Déclic.

Bon sang mais bien sûr. Abandonner l’obsession de la complétude. De la maîtrise. La sacro-sainte maîtrise. J’ai lâché prise. Marché, respiré. Errances urbaines, flânerie campagnarde, humanisme du XVIe, tout s’est harmonisé dans ma tête. La lumière à tous les étages, enfin. Oui, suffit de marcher, sacré nom d’une pipe en bois, sans but véritable ! On marche et ça marche.

Le château symétrique et ennuyeux s’est alors métamorphosé en immense coffre à jouets. Depuis, à chacune de mes incursions, j’y trouve tout et n’importe quoi, du joyeux foutraque dans un silence méditatif.

Mon hôte lui-même, je ne le vois plus de la même façon. Le Claude a désormais pris une autre figure, et même plusieurs. Après tout, n’est-ce pas lui qu’on associe au marquis de Carabas ? Pour quelqu’un qui n’est même pas fils de meunier, sacrée réussite ! Sûr, le Chat botté doit courser les souris ou se lécher les parties dans un coin du château. Quant à la fresque, elle est devenue une bande dessinée géante à la ligne pas très claire à cause de l’écoulement des siècles mais qui honore Homère, premier écriveur d’histoires à dormir debout.

Je me souviens de cette « renaissance ». La première visite avait tout de même balisé le terrain et fixé des bases. Elle avait eu un rôle mais de nouvelles portes se présentaient que je n’avais qu’à pousser. J’allais à présent, guidé par je ne sais quelle force, de découvertes aléatoires en réminiscences improbables ; des correspondances se tissaient dans ma caboche entre l’ancien et le moderne, le moche et le raffiné, le discret et le clinquant. Je me surprenais à repasser aux mêmes endroits, remettant mes pas dans ceux d’avant, sans pour autant ressentir la même émotion. Un mouvement perpétuel mais renouvelé, une balade où se perdre n’est plus un risque mais une fin en soi. Le pire, c’est que je me sentais bien. Les œuvres modernes exposées partout, sur les murs, aux plafonds, au milieu des pièces, dans le parc, pouvaient bien être les coquilles vides emblématiques du mépris généralisé, cela ne comptait plus ; elles me tiraient ici un sourire, là une réflexion plus élevée, plus loin un trouble. Encore maintenant, j’entends des ombres qui pouffent. Il y a du clin d’œil sur chaque pan de mur. Dans le bric-à-brac, on retient des trucs, plein de trucs, l’inutile indispensable. Pour soi. Ce qu’on aime. Dérive ordonnée par une volonté immanente, le hasard, le hasard de mon inconscient, l’inconscient d’une force immanente hasardeuse ? Comment et pourquoi savoir ? Tout m’échappe ici, et je m’y retrouve. Le sens du nonsense. Les Monty Python ont investi l’abbaye de Thélème. John Cleese, chapeau melon vissé sur la tête, traverse de sa démarche à la con la galerie où Troyens et Achéens s’exterminent joyeusement. Homère se marre. Au moins autant que Rabelais, autre raconteur génial qui se sent chez lui ici. Les archives ne dévoilent pas s’il a banqueté avec Claude au château mais son hameau natal à Seuilly n’est qu’à un pas de botte de sept lieues. Ses mots goûteux éclaboussent comme « à pet en gueule » les murs d’une des salles mais ne font pas que tonitruer, invitant aussi à de plus sobres contemplations, « les intelligences comme limaz sortant des fraires ». On invente. Il était une fouace… un pays sans astreinte, où l’on plante plus volontiers des vignes que des drapeaux. Et le « tire-toy là » résonne davantage comme une invitation à camper là pour un temps plus long, jusqu’à toujours.

Voilà par quel accident il me semble m’être approprié les lieux sans leur faire offense, avec la conviction d’être à ma place, échappé à la fois de la cohue abrutissante du monde moderne et de ses trop grandes rectitudes (non moins abrutissantes), loin de tout, à la marge des importances. Les dieux olympiens, réunis en assemblée – comme sur la fresque - ne peuvent pas me manquer ici ! Ils me voient déambuler, c’est sûr. J’existe.

Le temps passe, enfin je crois, quelle heure est-il ? Je regarde par une fenêtre du premier étage pour me guider avec les ombres des galeries sur la cour… Ombres rases, obliquant encore un peu vers l’ouest… Presque midi. « Au milieu du chemin de notre vie, je me trouvai dans une forêt sombre, la route où l’on va droit s’étant perdue. » Et au milieu du jour donc ! Continuer de marcher au rythme qui conviendra, selon l’instant et l’instinct, sur la voie la moins directe possible. On entre, on sort, un vrai moulin ici ! Le vagabondage dans le château dévie dans le parc, un inventaire à la Prévert, jusque dans le pré vert attenant, mon pré carré d’où le château a des faux airs de Moulinsart.

J’erre d’un espace à un autre, en même temps que dans le dédale de mes pensées, et maintenant c’est certain : ce château est hanté. Par moi.

Je comprends, au fur et à mesure de ce drôle de cheminement en allers-retours et en circonvolutions qui me ramènent à du déjà-vu mais regardé autrement à chaque fois, que c’est dans ma tête que je me promène. Je trifouille dans l’inconscient. Je me raconte des histoires. Je suis dans mon cerveau, heureux d’y trouver des choses, des traces. Plus que les toutes les réalités matérielles – œuvres, ornements, objets, etc. -, ce sont les mots qu’elles font naître qui me captivent. Par les déplacements du corps et l’émancipation de la pensée et des impressions, le verbe prend du sens. Du ciel, le château est une lettre, la première du mot universel.

Tu quittes les lieux avec une vaste idée du possible. Mais le retour au réel – cet autre réel – n’est pas si facile. Tu sais, c’est un peu comme Fernandel dans le film François I : tu te réveilles, et tu te sens rattrapé par le monde et ses conneries adultes. Tu voudrais retourner dans la césure spatio-temporelle, ouvrir de nouveau la malle aux jouets, libérer ton imagination. Mais bon, je ne suis plus très sûr de lui avoir dit ça, parce que c’est un peu ridicule quand même de s’épancher de la sorte devant un type à l’œil vague qui en était au tiers de sa bière-limonade-grenadine. Je me souviens seulement lui avoir donné un dernier conseil alors qu’il avait porté nonchalamment son verre à la bouche et produisait un bruit inélégant en buvant : au sortir du château, reprends pas la bagnole tout de suite, que je lui ai dit, prends le temps de longer pedibus le vieux muret de pierre qui relie le périmètre du château au village, pousse jusqu’à l’église collégiale - les Gouffier y accédait par le parc, toi tu passeras par les ruelles comme les gueux d’antan. Crois-moi, tu en verras d’autres, des bizarreries, comme l’énigmatique devise en latin (encore elle, oui) sur le fronton ou bien le crocodile du Nil cloué au mur du transept– sans croix, je précise. Les gisants, défigurés par les huguenots pendant les guerres de religion, sont saisissants. Il y a celui de la mère de Claude Gouffier (prénommée Philippe, soit dit en passant). Et puis celui de Claude l’esthète, le mécène, l’humaniste curieux des sciences et des arts, l’aristocrate flamboyant, le courtisan influent, le ministre puissant. Le voilà réduit à ce corps marmoréen, défait de tous ses oripeaux. Nu et allongé. Le bagage est maigre pour le grand Voyage, l’ultime. Tiens, toi qui cherches des réponses sans trop savoir quelles questions poser…

En quittant l’église, tu lèveras les yeux. La devise se détachera plus lisiblement sur son bandeau de calcaire. Hic terminus haeret. Je te laisse le soin de traduire, l’ami. Réjouis-toi de l’instant, jouis des histoires qu’il t’inspire, et reviens quand tu veux.

 

 

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Sit and see

Critique du 01/01/018 : Les Couleurs de l'infamie, d'Albert Cossery

 

J’ai terminé l’année avec les couleurs de l’infamie.

Je ne dois pas être le seul. Enfin, me concernant, c’est – surtout - le livre d’Albert Cossery (1913-2008) dont je parle. Les Couleurs de l’infamie, donc. Cela faisait un petit moment que je voulais me plonger dans l’œuvre du “Voltaire du Nil” et j’ai compris – mais pas immédiatement – pourquoi on surnommait ainsi cet écrivain égyptien francophone.

Mon premier “Cossery” aura donc été son dernier jet littéraire, paru en 1999. Il est peut-être maladroit, voire incohérent, d’entrer dans une œuvre par sa fin, si l’on en veut saisir le cheminement intellectuel. Mais c’est que je n’ai pas de plan de travail, mes bons amis ! Et d’ailleurs, lire n’a jamais été un travail pour moi. Ce que je lis, je le trouve par le fait du hasard, une curiosité inopinée ou une opportunité, et si je décide de chroniquer, c’est un peu au débotté. Et après tout ce livre, s’il ne résume pas une vie entière, il la ponctue. Ce qui est autrement plus édifiant.

Livre ponctuant donc. Court et vite lu. Livre bien peu révolutionnaire, en fait. C’est la certitude qui m’a accompagné jusqu’à la moitié du roman. Jusqu’à cette drôle de visite (ou cette visite drôle) dans un cimetière - tiens ?

Le personnage principal s’appelle Ossama, qui s’extrait à la troisième page de la « multitude humaine » du Caire et qui, en réalité la « contemple » passivement d’une hauteur de la ville. Personnage en-dehors ou en-dedans ? La question n’est pas sotte. En tout cas, la sienne de question à Ossama, celle qui perturbe sa caboche de Robin des Bois désinvolte et roublard habillé « avec élégance à la manière des détrousseurs patentés du peuple », paraît plus prosaïque et ne se révélera pas moins existentielle : que faire d’une lettre compromettante qu’on a dérobée à un individu qui incarne à lui seul tout un système pourri ?

Ben, c’est pareil pour moi : je me demande assez vite ce que je vais faire d’un tel roman qui me laisse une impression si mitigée après quelques dizaines de pages : une écriture un chouïa trop explicative sans interstice pour l’imagination du lecteur, une enfilade verbeuse avec des mots-piliers le long desquels on n’a plus qu’à se promener et concevoir que tout cela est fort joliment dit, une écriture sans réelle densité où se sent l’application d’un écrivain soucieux de ne pas faire de répétition. Un registre soutenu, académique même, qui fait honneur à la langue française mais ne retranscrit pas la vie anarchique et illettrée des ruelles cairotes. Un décorum de pays pauvre a été installé avec ces gravats de carton-pâte. On aurait aimé – si l’on peut dire - des cassures de rythme dans le récit, des libertés de style, avec ce qu’il faut de relents de merde et de gasoil, bref du foutoir, du bazar, encore du bazar ! Une réalité plus dérangeante, quoi – car la réalité est dérangeante. Cossery croit-il dénoncer la misère, le veut-il même ? Le doute est là, il semble la polir, la justifie même puisqu’elle s’accompagne de bonne humeur.

À moins que Cossery n’échappe ainsi à « l’image ordinairement pittoresque et sombre de la misère ». Oui, Peut-être.

Sapé comme un prince des temps modernes, Ossama marche dans la ville, cette ville presque désincarnée en dépit – ou à cause - des efforts de description ci-dessus évoqués, désincarnée et par là-même sans âme, alors que l’auteur ne cache pas son empathie pour ces petites gens. Ossama donc marche, s’assied, et discute. Le palabre ne s’arrête jamais vraiment, il relie une série de figures parfois prévisibles : Safira, la jeune prostituée enamourée ; le vieux Moaz, au visage évidemment pétri de sagesse ; Nimr, le pickpocket pédagogue pour gamins miséreux…

Le roman bavard s’emplit de personnages qui ne sont pas loin de l’être aussi, bien que chaque mot soit pesé. Le francophone Cossery utilise cette langue d’emprunt et de choix avec une minutie d’orfèvre. C’est sûrement moi, le barbare intolérant.

Tout n’est qu’illusion. Chaque personnage se fabrique un monde, ou se le réinvente, ignorant - par mépris ou par erreur – la brute réalité. Chacun – et peut-être l’auteur lui-même - est un être assis et satisfait, y compris dans son dégoût des choses, sa répugnance du système en place (brutalités policières, corruption politique…) ; assis en spectateur qui se demande comment – et surtout pourquoi – être acteur, et ne devient acteur que par l’écoulement de son texte à réciter. Comme Ossama s’adressant à Nimr : « L’école ne m’a appris qu’à lire et à écrire. Cette mince instruction fut pour moi le chemin le plus sûr pour mourir de faim dans l’honnêteté et l’ignorance. C’est toi qui le premier m’as ouvert les yeux sur la pourriture universelle. Avoir compris que le seul moteur de l’humanité était le vol et l’escroquerie, c’est ça la vraie intelligence. Pourtant tu n’es pas allé à l’école. » Pourtant le style de Cossery est scolairement irréprochable, infiniment respectable. La non-instruction est vantée par la plume de l’instruit qui use de l’outil linguistique avec l’aisance de celui qui sait. Cossery le dandy ne serait-il pas Ossama, le filou tiré à quatre épingles, filant au milieu de la cohue puante, la regardant in fine quelque peu de haut, d’où cette écriture soignée, presque manucurée, qui transmute le sordide en descriptions élégantes, laissant ainsi la révolution physique à ceux qui échoueront inévitablement. Tel Moaz, ancien ouvrier rendu aveugle par le coup de matraque d’un flic, suspendu aux échos de la rue qu’il traduit à son tour, à sa manière, en espérances d’un monde qu’il croit changé par son sacrifice.

Jusqu’à ce que les murs s’écroulent, définitivement, ramenant tout à la poussière.

Tout cela manque de furie, de colère - trop occidental comme concept ? -, même si bien sûr cette écriture tenue et infiniment maîtrisée sert aussi – probablement – à révéler la dignité du peuple des pauvres, de ce peuple qui cherche à surnager dans le chaos social. Manque de rage, certes, mais à quoi bon s’enrager ? Mieux vaut sourire.

La discussion va se poursuivre dans la Cité des Morts. C’est là que nous attend Karamallah, le philosophe de la dérision, l’homme du refus des conventions et des idéologies, l’homme de la marge, des marges, jusqu’à accepter de vivre au milieu des tombes.

Justement, c’est à ce moment-là que je me suis assis, moi aussi, avec les protagonistes. C’est qu’il semble intéressant, cet homme-là : « Le seul temps précieux, ma chère Nahed, est celui que l’homme consacre à la réflexion. C’est une des vérités indécentes qu’abominent les marchands d’esclaves » dit-il à l’étudiante venue l’interroger. Karamallah apparaît comme un chantre de l’irrévérence, partisan de la « guerre joyeuse » contre les impostures et le matérialisme, et je comprends qu’il est là, l’auteur ; c’est lui Cossery, l’observateur amusé, compatissant dans l’ironie. Pas étonnant qu’il s’entende avec Ossama qui a compris lui aussi qu’il fallait jouer avec les codes de ses ennemis. Jouer, oui.

Me revient une des tirades d’Ossama, prononcée à un moment de la longue discussion où elle ne m’enthousiasmait guère, ce gredin lucide Ossama jouait alors son rôle d’entourloupeur bien sapé : « Moi je ne suis qu’un voleur. On ne torture pas ceux qui vous font vivre. Le salaire des policiers dépend des gens de mon espèce. Je n’ai jamais envisagé de renverser le pouvoir établi et je suis content de tous les gouvernements. Aucun régime politique ne m’empêchera de voler. Je suis sûr d’exercer toujours mon métier. Et cette assurance n’existe dans aucune autre catégorie de travailleurs. As-tu jamais vu un voleur au chômage ? »

Cette tirade m’apparait maintenant comme une profession de foi, celle de l’écrivain dandy, écœuré par les accommodements du monde, de tout le monde, et qui a choisi de se décaler pour trouver le bon poste d’observation, de se mettre en marge de l’effervescence humaine – une terrasse de café est une marge bien suffisante - pour l’à la fois vomir et moquer, faire ainsi de son inutilité sociale une utilité quasi ontologique.

Nous voici dans un autre café des quartiers populaires d’Al Qahira. Atef Suleyman, pourriture absolue, s’assoit avec nous, et l’on croit encore mieux comprendre l’esprit cosseryen, teinté d’humour malicieux. Deux récits se croisent sans croiser le fer, donc sans manichéisme caricatural : il y a celui de Suleyman, un énorme mensonge qui nourrit l’ignorance, la propagande, la soumission… La justification, par le biais des pyramides antiques, de l’ “obsolescence programmée” des immeubles qu’il fait construire est un modèle d’abjection absurde ; et il y a cet autre, sûrement ambigu, celui du parti-pris de rire devant la vanité des pouvoirs et l’amoralité du monde.

Pas sûr que le roman soit au final très optimiste. Ou plutôt si, il l’est, puisqu’il n’y a pas grand-chose à faire pour améliorer tout ce cloaque. La crapule est ridiculisée mais perd peu, puisque d’honneur elle n’a jamais eu, et que l’honneur de toute façon n’a guère d’importance : « Sache que l’honneur est une notion abstraite, inventée comme toujours par la caste des dominateurs pour que le plus pauvre des pauvres puisse s’enorgueillir d’un avoir fantomatique qui ne coûte rien à personne », dixit Karamallah.

L’ultime ouvrage d’Albert Cossery serait donc comme une fable désabusée mais rieuse. Un conte philosophique plus honnête que ceux de François-Marie, le roué Arouet.

C’est évident, Cossery m’interpelle, et je sais que je vais continuer d’errer dans ses autres livres. M’asseoir et voir le monde avec la distance qu’il faut.

Et qu’on me pardonne l’anglais fashionable du titre de cette inutile bafouille - Karamallah doit en sourire. Il faut bien jouer avec les codes de ce bas monde.

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L'art des rencontres sans apostrophe

Chronique du 18/03/2018,  : Sketches sans ', de Didier Betmalle

 

Je me suis laissé entrainer par cette nouvelle ingéniosité de Didier Betmalle. Son livre prend par la main, et pas que, pour mener le lecteur-spectateur de sketch en sketch, aussi bien face à La Vierge (ici fort voluptueuse) à l'Enfant et saint Jean Baptiste de Francisco de Zurbarán, que dans une cave humide aux murs suintant de bitume et de désir. 
Le titre l’annonce. Dans son texte, l’auteur a ôté ce signe, aussi discret qu’omniprésent en Francophonie. Drôle d’idée car la mignonnette petite courbe en suspension se veut pourtant évocatrice – à bien la scruter, ne la trouvez-vous pas, c’est selon, phallique ou clitoridienne ? Comparable tout au moins à une échancrure, modeste mais aguichant d’autant plus l’imagination. Mais probablement en ai-je trop (d’imagination)… Peut-être s’agit-il en fait d’un signe un poil trop pudique, un peu flicaillon sur les bords par cette seule fonction qu’il a d’empêcher le contact trop appuyé de deux voyelles trop voyeuses. La langue française, Didier Betmalle ne l’excise donc pas, ni ne la castre. Bien au contraire ! Il la contient, la retient, et parvient à débrider l’inspiration. Un joli pari à la Oulipo. « Là où il y a une recherche esthétique - manifeste par le choix de la forme et de la manière - il y a érotisme ». Bien mieux qu’une contrainte, c’est un jeu – j’avais déjà aimé cette écriture à la fois exigeante et ludique dans le recueil de nouvelles Sois sincère, du même auteur. L’expérience m’apparaît aussi comme une ‘élision’ du culte de la sacro-sainte efficacité, archi-régnante y compris dans la production littéraire contemporaine où l’histoire et l’action doivent primer sur le style. Là, c’est enfin la langue qui fait tout (!). 
Le postulat de départ ne contraint pas, il crée une tension – intellectuelle et par là-même sexuelle, n’est-ce pas ? – qui annonce ou prépare une libération, ou disons des possibilités nouvelles. L’écriture, vectrice de l’imagination, de cérébrale devient sensuelle, naturellement. Margot a dégrafé son corsage et le langage son apostrophe, la musarderie intellectuelle ne tarde pas à émoustiller. Grâce à chaque détail, pesé, précis, on se laisse aller dans cette flânerie érotique d’un esprit libre. 
Le défi stylistique était une coquinerie initiale ; la langue ainsi maitrisée retrouve le juste et bon goût. Comme un metteur en scène tatillon imposerait à ses acteurs telle gestuelle, telle intonation de voix, pour mieux libérer l’émotion, la faire paraître aussi naturelle que possible. Bref, en chasser l’aspect théâtral. Le locataire est placé – mis en scène donc - dans diverses situations et positions, rêvées, fantasmées, mais toujours ancrées dans le réel, avec une factrice, une liseuse endormie, une fleuriste, toute une suite d’inconnues qui se laissent découvrir. On pense aux Passantes de l’oncle Georges mais qu’on n’aurait pas laissé descendre sans avoir effleuré leur main… d’autant qu’il n’y aurait plus besoin de les aborder puisqu’elles sont devenues – ô fantasme absolu ! – sublimement entreprenantes. 
La lecture est finie, la lumière inonde de nouveau la salle du théâtre de la vie. Délicieusement étourdi, on comprend qu’il faut se lever et retourner aux règles du monde. Mais avec ce soupçon d’envie polissonne de se laisser apostropher par le quotidien - on ne sait jamais. Au bras de notre amante superbe, l’imagination.

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Un livre citoyen pour tourner la page

Critique du 08/10/2017, Babelio : Vers un destin choisi, de Renaud Fortuner 

 

Voilà un ouvrage qui mérite une lecture attentive. Il est le fruit de plusieurs années de cogitation et de discussions (une première version a été publiée dans les années 90). Son auteur, Renaud Fortuner, l'a même envoyé par courrier à chaque député français, et reconnaissons que ces 160 pages ont de quoi poil-à-gratter les tenants de tout pouvoir, qu'il soit politique ou économique !
Dans ce livre, Renaud Fortuner propose en effet un nouveau modèle d'organisation socio-économique. Ni plus ni moins. Une sorte de troisième voie qu'il appelle « travaillisme » (rien à voir avec le Labour Party britannique), balayant d'un même revers le capitalisme dominant – jugé destructeur et inégalitaire - avec son « argent fossile » et le collectivisme, tout juste bon à ne fournir à l'humain que « la sécurité dont jouissent les animaux d'un zoo ». L'auteur se débarrasse aussi au passage d'un éventuel recours aux « soins palliatifs » de la social-démocratie.
Après avoir énoncé sa conception biologique de la morale (lui-même a mené une carrière de chercheur biologiste dans différents pays), l'auteur structure sa démonstration en enchaînant plusieurs thèmes, liés les uns aux autres, tels que l'économie de production, la fiscalité, la gouvernance politique, l'éducation…
C'est d'abord à un démontage en règle des systèmes idéologiques nés de la révolution industrielle (capitalisme et communisme) que se livre R. Fortuner en faisant la démonstration de leur incapacité à satisfaire le "travailleur", nécessairement dépossédé dans les deux cas. J'ai particulièrement apprécié la critique du rôle (parasitaire) des actionnaires et l'explication d'une possible économie entreprenariale sans les investisseurs habituels. Ainsi, R. Fortuner s'attaque au dogme et coupe la tête des actions et des dividendes. Il prône plutôt l'existence d'une caisse des travailleurs pour financer les projets.
Bien qu'assumant avec humilité sa non-spécialisation dans certains domaines (financier, juridique…) et tout en acceptant la contradiction, R. Fortuner tient à parler en citoyen qui se pose comme force de proposition, dans un style franc et direct. Il se défend d'être un partisan de l'autogestion d'origine anarchiste (même s'il faut admettre que certaines thèses se rejoignent). Il veut montrer que le bon sens et le pragmatisme guident sa réflexion, sans filiation idéologique d'aucune sorte. Notamment lorsqu'il explique le fonctionnement des « coopératives de production » qui remplaceraient les entreprises capitalistes (et aussi celles d'État). Selon lui, il faut en finir avec le salariat traditionnel : chaque travailleur doit être un « coopérateur » pleinement propriétaire de ses moyens de production, responsable (organisation, rendement) et bénéficiaire (il reçoit sa part des excédents dégagés) du travail qu'il a à fournir.
Cette organisation nouvelle de la vie économique implique d'autres réformes, expliquées avec force détails : impôt progressif et non pas proportionnel (impôt qui peut être négatif, ce qui l'apparente alors au revenu universel), suppression de l'héritage, etc.
Dans le domaine éducatif, certaines réformes me laissent perplexes (la prédominance de l'anglais, le tout-informatique…) tandis que d'autres soulèvent des points essentiels (la maîtrise des savoirs fondamentaux – lire/écrire/compter pour tous -, l'apprentissage du consensus par le travail collaboratif, l'individualisation des parcours d'orientation, etc.)
Du nouveau modèle économique et social défendu par R. Fortuner découle un changement de l'organisation politique. L'auteur échafaude un nouveau mode électoral où le vote est obligatoire, le vote blanc pris en compte et les mandats constamment modifiables. Il met en avant un rééquilibrage des trois pouvoirs (on notera la très large revalorisation du judiciaire), écornant au passage notre actuelle république, faussement démocratique d'après l'auteur car laissant trop d'autorité à l'exécutif.
R. Fortuner va encore plus loin. Il se prononce pour une profonde réorganisation territoriale de l'Europe avec une fédération de provinces qui supprimerait de facto les États-nations (France, Espagne, Allemagne, etc.), échelon inutile et porteur d'inégalités (économie, représentation politique) entre le régional et le pouvoir européen centralisé. Il est tentant de greffer l'actualité catalane à ses propos.
Vous l'aurez deviné : l'ouvrage est perturbant. Et passionnant, car argumenté. Il peut agacer mais pousse au débat, aère l'esprit en le bousculant, ouvre des voies. Une évidence s'impose : le monde n'est pas figé. L'histoire humaine est faite d'évolutions, et Renaud Fortuner nous rappelle simplement que la pire des utopies serait probablement de croire que tout a déjà été tenté et qu'il ne reste qu'à conserver le système en l'état.

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Requiem pour un cas

Chronique du 19/11/2018 : London Requiem, de Luc Tallieu

 

De mes virées toulousaines, je rapporte toujours dans mes valises tout un bardak d’idées en rose et noir. La dernière fois, ce fut un livre (et quelques autres). Le livre en question s’intitule London Requiem, titre qui a d’abord résonné en moi comme un London calling nostalgique plus qu’un air ultime de Wolfgang Amadeus. Oui, j’avoue avoir été excité comme un jeune con à pataugas à l’idée d’ouvrir ce bouquin dont la couverture laisse apparaitre un Big Ben émergent de la brume. Déçu, je ne l’ai point été. Luc Tallieu, homme de plume et de planches, a commis là un troublant petit thriller inspiré de Monsieur, une pièce de théâtre écrite et mise en scène par l’auteur lui-même.

Le prologue donne le ton. Un certain et satané John Wycliffe nous échappe déjà tandis que lui nous cloue de sa plume implacable et acéré. C’est entendu : nous aurons affaire à un être pervers et déterminé. Il ne sera pas facile de le coincer. Lui rabattre le caquet encore moins car l’individu est sûr de lui et de sa mission purificatrice. Les deux premières pages enclenchent ainsi l’habile mécanique temporelle du récit où vont se croiser le verbe épistolaire et maniaque du tueur narrateur – du « narra-tueur » pourrait-on dire, car l’on peut bien se permettre démembrer et éviscérer les mots - , apologiste de son œuvre destructrice et fondatrice, et la longue enquête menée par l’inspecteur John-William Hubbard. Les allers-retours narratifs aboutissant à l’année du dénouement, celle de ces autres crimes… devenus célèbres et toujours mystérieux, vous savez bien, ceux du côté de Whitechapel.

Luc Tallieu joue l’équilibriste sur deux styles : à l’égocentrisme du tueur (mais est-il vraiment seul ?), se déroulant dans un monologue brut et froid, quasi surhumain, l’auteur oppose, lorsqu’il évoque les doutes de l’inspecteur, une narration plus externe qui égrène une lasse mélancolie. On se sent davantage à côté du flic londonien que dans sa tête, et c’est curieusement ce procédé qui nous rend le personnage humain, profondément humain, lui qui semble à la fois blasé par la cruauté de ses congénères et totalement impliqué dans sa quête. Un homme de raison qui avance malgré les fêlures d’une vie lestée par d’un lourd secret et le souvenir lancinant d’un amour arraché bien des années plus tôt.

Pendant ce temps, le « majordome aux gants rouges », gentleman killer cultivé, suit sa voie (en même temps qu’une certaine voix) dans une Angleterre du XIXe rendue pittoresque sans longue séquence descriptive, s’aventurant dans le nord jusqu’aux Lowlands écossais. Le roman s’apparente à un road-movie géographique et psychotique où essaiment les cadavres. Notre Monsieur Propre bourlingue d’une noble demeure à une maison bourgeoise avec ses lettres de recommandation, intègre même un cirque où cohabitent toutes sortes de difformités, mais les freaks semblent plus chic à John que la répugnante normalité. Impossible de ne pas penser alors à Elephant Man.

Le majordome à la morgue aristocratique, toujours en quête d’une bonne place (il faut bien vivre), se révèle un fin amateur de Mary Shelley, de Dickens et de Shakespeare. Mon imagination lui donne le visage d’Anthony Hopkins. Il est vrai que Wycliffe n’a rien à envier à Hannibal Lecter, tant par sa distinction en société que par la sauvagerie de ses massacres en coulisses. Si le tueur-nettoyeur n’omet pas ses gants pour autruicider, il n’en met pas pour expliquer ses liquidations physiques. Il met en scène, orchestre, fignole, commente : le crime est un art en même temps qu’une purge. On pense parfois à une version victorienne de Seven dans certaines mises en scènes meurtrières où il s’agit de punir par là où il y a eu péché - et ici, plus précisément une faute de goût impardonnable selon John - avec une pointe (aaaïe !) d’Alan Moore pour l’ambiance bruineuse et surtout le thème de la plongée aux sources du mal : n’écrit-il pas que « mon ordre moral doit être un modèle pour les générations futures » ? Un vertueux, en somme, qui remet un peu d’ordre, époussète, récure, décrasse la société vulgaire « Quand je tue, je range ! ».

Le duel à distance est prenant entre les deux justices : celle du serial-butler - à l’esprit tellement rangé qu’on a justement du mal à le qualifier de dérangé -, et le représentant de la loi des hommes. Le jeu de cache-cache machiavélique nous tient en haleine sur plus de deux cents pages, que ce soit dans le huis-clos oppressant d’un bureau, d’une cuisine, ou lors d’une échappée sur les toits de la capitale de l’Empire britannique.

Jusqu’à la fin du roman, ouverte.

Au scalpel, of course.

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Drôle de polar

Chronique du 16/12/2018 : Drôle de mort, de Sophie Moulay

 

« Le reste de la journée s’écoule lentement. Très lentement. Ce que la mort peut être ennuyeuse ! L’éternité risque d’être longue. » Longue ? Pas tant que ça. On trouve vite à s’occuper pour tuer le temps quand on a passé l’arme à gauche. Et puis, dans le monde des bibliophages terrestre, il ne s’écoule pas moins vite, le temps, à la lecture de Drôle de mort, polar drôlement (ha ha ha) bien ciselé de Sophie Moulay. Mais il n’est pas excessif de dire qu’il continue de [me] hanter quelque peu après l’avoir refermé.

La « drôle de mort » en question (… et interrogatoires divers) s’avère en effet diablement énigmatique et le « drôle de mort » en finit (si l’on peut dire) par se questionner aussi. Notre homme - un certain Roger Fournier - qui a tant manqué d’esprit de son vivant va le faire fonctionner post-mortem.

Pour faire “vivre” son assassiné de plus en plus lucide, l’autrice utilise un présent de phrases simples, sèches parfois, qui happe le lecteur ; les phrases d’un défunt bien vivace : c’est fluide, léger autant que nerveux dans le rythme, et le style se densifie volontiers sur certaines descriptions, instillant un indéniable petit charme rétro, car il faut bien avouer que la perception du temps a changé pour l’ex-chef d’entreprise toujours pressé : « L’astre nocturne a pris son pinceau et reproduit fidèlement les motifs des carreaux de la porte d’entrée sur le sol. Une armée de Cupidon avance lentement sur le carrelage blanc et rouge, à l’assaut des arabesques menaçantes de la rampe d’escalier. » Les avait-il seulement perçus, Roger Fournier, tous ces détails de son vivant ? La mort éveille l’esprit. Il comprend, Roger, que c’est sa vie qui a été fantomatique, cette fichue vie dans la région de Valenciennes à s’occuper de son entreprise qui ne connaît pas la crise, à s’éloigner de ses enfants, à épouser la secrétaire pour agrémenter le décorum. Une vie passée à gérer, à errer.

Notre fantôme a donc des retours de mélancolie ; le voilà redevenu humain : « Lorsqu’un gros nuage réduit à néant les efforts de mes angelots, je monte veiller sur le sommeil de mes enfants. ». C’est qu’on en voit et qu’on en comprend – enfin ! - des choses une fois clamsé. La faucheuse offre un sacré recul, elle développe l’acuité, même si les coups de pied au c** qu’on aurait envie de donner sont dorénavant compliqués (quoique…).

Le trucidé Fournier, narrateur désincarné et spectateur aux premières loges, permet une véritable identification pour le lecteur qui n’est pas là non plus - dans la réalité virtuelle du roman veuillé-je dire -, mais tout en s’y baladant. Le fantôme n’en sait pas plus que nous au départ, stupéfait lui d’être… mort. Et nous de le savoir trépassé. Comme chacun des lecteurs, il est face à l’inconnu. Fait des découvertes sur les siens, sur son ex-existence, sur la foultitude de petits secrets à côté desquels il est passé. Sur sa mort bien sûr, si peu catholique. Quelle étrange sensation et quelle liberté offerte !

Bref, le fantastique se mélange à l’humour caustique (j’en profite pour donner un accessit à ce « vieux renard » de maître Poirier, notaire à la subjectivité truculente) sans dédaigner quelques pointes de nostalgie émouvante - qu’elle soit aigre ou douce-amère - et le genre “policier” va évidemment s’en mêler avec un binôme de limiers qui se présentent « sur le pas de la porte » de la maison et du roman.

Cette entrée en scène enclenche les investigations officielles, celles-ci s’ajoutant aux observations amusées et désabusées du fantôme-narrateur. Fournier devient le spectateur privilégié du travail d’enquête du Sherlock local, l’inspecteur Tovelle, un drôle de gus aussi… Sa méthode ? « Prendre la mesure de chaque personnage et aussi prêter l’oreille aux ragots ». Pourrait être écrivain, ç’ui-là… « Alors j’ai écouté. Je vous ai écoutés parler du mort, des autres, sans vous douter qu’en fait vous me parliez de vous ». Tovelle tisse patiemment, presque nonchalamment, et notre macchabée pensant, ex-sosie de Descartes, fait en parallèle un drôle de cogito ergo sum. Les souvenances de Fournier complètent l’enquête, complexifiant autant qu’éclairant le récit. Le fantôme sait - et nous savons avec lui - ce que ne pourra pas savoir (mais en est-on sûr ?) le duo de condés dans ce Cluedo au parfum de 40’s tardifs. S’établit, d’un interrogatoire à l’autre, un tableau de mœurs et de petits meurtres entre proches – famille, je vous hais ! -, et c’est peu de dire que le petit personnel n’est plus ce qu’il était… Le grand flegmatique mal fagoté et le blondinet gratteur de notes nous trimbalent d’une chambre à la salle à manger puis dans une autre chambre, avec une échappée dans le jardin pour une bouffée d’air de vérité. C’est un polar à huis-clos successifs où ça discute, dispute, raconte, dénonce, détourne, interprète. Le roman n’esquive pas les stéréotypes du genre : la fille à papa rebelle, le fiston atone, la grand-tante acariâtre, l’amant décevant, la soubrette pas fute-fute et les autres, toute une clique de têtes-à-claques. Mais Sophie Moulay semble s’amuser de ces clichés qui pourraient sortir d’une série vintage du vendredi soir produite par France Télévision. L’autrice joue la distorsion, gratte des personnalités qui se révèlent bien salement ambiguës…

Il me semble alors que l’écriture se fait plus elliptique, aux antipodes d’un naturalisme trop fouillé. Les lieux sont décrits avec une rapidité et une précision qui traduisent (… ou trahissent ?) l’intérieur de chaque personnage, le reflet de leur nature profonde et par là-même un jeu de dupe social. Vérité ou duplicité ? L’épure stylistique donne moins de prise directe avec la réalité concrète pour le lecteur qui imagine instinctivement, par lui-même, le décor, de même que Fournier ne peut plus toucher les meubles, les êtres, et se promène dans cette réalité sans plus y être. Ce qui fait corps (façon de parler…), ce sont les échanges verbaux et les regards scrutateurs ; la réalité devient fluctuante puisque les mots prononcés, prégnants, sont ceux d’interprétations divergentes, contradictoires. Dans cet agrégat de visions du monde (de ce petit monde bourgeois en guerre), la réalité – la seule, la vraie - se dérobe, tout comme les mains de Fournier passent au travers des meubles qu’il veut palper, alors qu’il les voit nettement. Cette maison suinte de secrets, de non-dits et de trop-dits qui empoisonnent les relations. Mais dans ce théâtre des apparences et des trompe-l’esprit, la vérité sommeille et c’est le patient Tovelle qui tente de la mettre à jour en déroulant son fil analytique. Les déductions, presque mathématiques, s’appuient sur un détail – bouteille de cognac ou tasse à café blanche à liseré doré - sur lequel se concentre et se développe un raisonnement qui ira jusqu’au bout de la devinette.

En amateur de l’art de la nouvelle, j’ai fortement apprécié la conclusion. C’est une des plus-values de ce captivant polar qui, au final, n’a pas seulement révélé les rouages plus ou moins complexes de sa machinerie interne avec la résolution somme toute classique d’une énigme. En quelques mots joliment pesés, il offre aussi une ouverture, qui inciterait même à une relecture minutieuse de certains passages intrigants. Oui, je l’ai déjà dit : on reste un peu hanté et on aime ça.

Les chutes finales - celle de l’assassin autant que le dernier mot, subtil - sont des promesses à de nouvelles « aventures d’outre-tombe ».

Une série pleine d’esprit et originale à suivre, même mort. Ce n’est franchement plus une excuse.

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2063 et son coquelicot nouveau

Chronique du 03/03/2019 : 2063 - Sélection naturelle, de Magali Cervantès

 

La grosse lecture hivernale au coin du feu aura été 2063 - Sélection naturelle, copieux roman d’anticipation de Magali Cervantès, avec la bruyante contestation sociale de l’actu en toile de fond (... jaune). Parallèle troublant, et je me demande bien ce que fera fleurir le printemps qui commence à darder…

Il est des livres qui ne laissent pas indifférent et qu’on voudrait savoir chroniquer sans sérotonine pour rester à hauteur de leur intensité. Jack London et George Orwell en exergue donnent le ton. Le roman de Magali Cervantès se lit – se vit - comme un virulent pamphlet anti-capitaliste, une ode parfois exaltée aux vertus de l’insoumission et, disons-le, un quasi-programme idéologique. L’autrice nous entraîne dans une littérature engagée, plus démonstrative qu’ironique, plus martelante que mordante. Il faut avouer que le contenu peut agacer autant qu’enthousiasmer, selon son positionnement dans l’éventail politique. Une absence de neutralité assumée de bout en bout, jusque dans le ressenti des héroïnes : « Elle comprend que la vie n’est intéressante que dans l’adversité. Que c’est la vie rude, âpre et combative de sa grand-mère qui lui avait aussi apporté son intérêt. Que ce sont les luttes qui avaient fait palpiter son cœur. ».

Dans ce roman dystopique solidement charpenté, l’on en apprend beaucoup – surtout pour un béotien comme mézigue - sur le rôle de la vitamine A et du sélénium dans le corps, ou encore sur la protéide. Appuyé sur cette documentation scientifiques et par la voix des personnages - notamment le dénommé Tanguy -, la fiction vire à l’essai sociologique et la profession de foi politique. Profondément sincère, l’écriture peut libérer des accents colériques. L’autrice en a sur le cœur, sa plume vitupère contre l’extrême-droite, l’agriculture productiviste, l’aliénation par le salariat, la marchandisation du monde, les réseaux sociaux - véritable espace de lynchage - , les jeux virtuels et sa délation valorisée… bref, tout ce qui compose « la violence inouïe du capitalisme », de même que l’intervention de l’État qui sert les intérêts des puissants. Sur l’obligation morale du vote, Magali Cervantès ne mâche d’ailleurs pas ses mots. Un professeur du centre Formata fait ainsi son cours d’éducation civique : « La liste des abstentionnistes fut publiée sur tous les réseaux sociaux informatiques où à l’époque les gens se retrouvaient pour échanger des mots, des images, des opinions ou des humeurs, et dans la presse afin de fustiger ceux par qui le malheur et la haine étaient advenus, ceux qui, par inconscience ou par bêtise, avaient livré le pays et l’humanité à ce qu’elle avait de pire, provoquant un océan de rage parmi la population qui ne manqua pas de régler ses comptes avec tous ceux qui avaient manqué à leur devoir ». L’autrice affiche un franc soutien aux abstentionnistes, zadistes, bio-écologistes et autres partisans de la démocratie locale directe . Sans que le mot soit écrit, M. Cervantès livre un authentique plaidoyer pour la décroissance. Le lecteur curieux de Serge Latouche apprécie, mais l’amateur d’histoire se froisse quelque peu lorsque une pointe de nostalgie envers les civilisations antiques écorne un peu hâtivement le Moyen Âge... qui n’était pas si mal en terme de permaculture, avant les ravages sociaux et écologiques de la Révolution industrielle. Décroissant dans son essence, le roman prend en même temps fait et cause pour la classe ouvrière, s’appliquant à montrer l’implacable logique destructrice de la mécanisation-robotisation poussée à l’extrême qui, loin de soulager l’humain, le dépossède de sa dignité. « Tout comme le coquelicot dont la fécondation ne dépendait pas du travail des abeilles, mais du hasard et du vent, l’ouvrier avait cessé de produire des graines ». L’autrice distingue le “travail” - consenti et détenu par l’individu, donc épanouissant pour lui -, du “salariat” - tâche subie pour le profit d’une oligarchie dominante. Il est évident que la classe inférieure dans le roman ressemble à notre actuelle middle-class consumérisée. 2063, c’est un monde binaire avec ses néo-prolétaires et ses néo-bourgeois. Mais le discours marxo-prolétarien est-il compatible avec les revendications écologiques ? On pourrait me rétorquer : lorsque le ciel révolutionnaire flamboie, le rouge et le vert ne s’épousent-il pas ? Les épousailles actuelles ressemblent plutôt à un divorce. De son côté, notre professeur-formateur en profite pour renchérir : « L’Histoire nous montre combien il est primordial de nous protéger de tous les virus révolutionnaires, de tous ceux qui refusent l’ordre établi. L’Histoire nous enseigne combien la liberté revendiquée égoïstement est source de chaos. L’implantation de cette puce est au contraire garante de paix ». Mais qu’adviendrait-il de ceux qui refuseraient la formidable société libertariste née d’une grande révolution mondiale ? Ah diable, c’est irritant quand même de se poser autant de fichues questions contradictoires...

Je l’avoue. D’instinct sceptique envers toute littérature dite “engagée”, j’ai été moins captivé par les développements politisés inclus dans la narration ou contenus dans les confidences écrites des personnages . Peut-être trop péremptoires à mon goût – ‘ou de l’inutilité de prêcher un convaincu’. Je l’ai été davantage par les passages liés à l’intimité et aux questionnements des deux principales héroïnes. Les allers et retours entre deux dates, à trente-six ans d’intervalles, confirme cette empathie de l’autrice de La Soupe aux crocodiles pour des femmes dont le combat est surtout quotidien, en marge des dogmes idéologiques. Le cheminement intérieur de chaque personnage, leurs doutes, injectent une belle humanité à ce roman. Ces deux destins séparés par le temps se croisent pourtant de bien des façons : il y a la jeune Fauve en 2063 et sa grand-mère Mégane en 2027, dont le monde ressemble furieusement (c’est le cas de le dire, avec une scène apocalyptique digne de la Saint-Barthélémy…) au nôtre. Mais probablement est-ce le même… Deux générations plus tard, Fauve évolue dans une société totalitaire, eugénique, sexuellement sélective, dans un monde à la fois superlatif et moins diversifié, écrasant et affadi, épuré des bactéries : « Nous avons éliminé tous nos prédateurs, en particulier les plus dangereux pour nous, les micro-organismes : les bactéries et les virus » et du pire des virus : les sentiments, notamment ceux de la révolte et de l’indignation. Le darwinisme est ainsi poussé au paroxysme : « Nous avons fait avec la sélection artificielle ce que fait la nature avec la sélection naturelle. Nous avons repoussé les variations les plus nuisibles pour conserver et accumuler les plus utiles. » Fauchées les mauvaises herbes, éradiqués les mauvais esprits ! Le monde parfait où tout n’est que rendement efficace, où les abeilles croisées avec les coccinelles sont devenues noires à pois rouges, ce monde-là en osmose avec la loi de l’univers n’admet plus aucune friche. Les noms des fleurs ne sont plus affublés qu’à d’immenses stations pyramidales. Mais les nouveaux maîtres jardiniers sont vigilants : ils éduquent. Le centre Formata a pour objectif de « surveiller les signes d’insatisfaction, de frustration, de rancune et de rancœur qui pourraient être les prémisses de la germination de graines de révolutionnaires ». Et la littérature dans tout ça, ne serait-elle pas justement l’expression de ces frustrations, rancunes et rancœurs ? On pense au reconditionnement d’Alex dans Orange Mécanique, dont les pulsions violentes sont techniquement jugulées. De fait, M. Cervantès fait une déclaration d’amour, sincère et joliment désespérée, aux livres tout au long du sien.

Amour de l’écriture, également. Mégane se dévoile dans des lettres. L’évolution intérieure des personnages se fait dans un rapport au monde qui impose des prises de conscience. Ce retour à l’individuation m’a semblé prendre quelque peu le pas sur le combat collectif. La révolution passe par l’esprit et l’unicité de celui-ci. La plume - celle de l’autrice - s’apaise alors, se fait poétique, gagne – paradoxalement ? – en force de conviction. La critique plus implicite fait mouche, sans banderole, plus sûrement qu’un long meeting politique. Le récit renoue avec la pure littérature, laissant quelque peu (mais les fortifiant du même coup) ses revendications et s’attachant plus directement aux êtres : « Mégane est une solitaire. Elle a besoin d’un endroit à elle qu’elle pourra décorer à son gré , pour se sentir chez elle. Elle ne dit pas à Tanguy que la vie dans la grande maison est pour elle bien souvent pesante. […] Elle lui dit qu’elle veut pouvoir se lever le matin sans avoir à parler, elle lui dit qu’elle veut pouvoir écrire au premières heures du jour comme de la nuit, elle lui dit qu’elle veut pouvoir ne pas manger, si cela lui chante. […] Elle veut surtout échapper au regards de Tanguy […] pouvoir pleurer quand elle le désire. Elle veut pouvoir se vautrer dans le chagrin, elle veut pouvoir disparaître dans la mélancolie pour mieux en revenir. Elle veut surtout pouvoir écrire. » L’affirmation – même silencieuse - de l’individu face au formatage généralisé, voire aux simples obligations grégaires -, et l’existence – même voilée – de sa liberté fondamentale et d’une sensibilité propre, en disent plus - et mieux - que n’importe quelle démonstration enfiévrée. Monet et ses coquelicot n’auraient évidemment pas plus leur place dans un univers formaté, encadré, surveillé - avec visite obligatoire par le Ministère du Contrôle émotionnel. Et avec eux le vagabondage poétique et le libre ressenti. M. Cervantès tient là une vraie belle idée d’autrice, forte et métaphorique : l’évocation du gentil (et sauvageon !) coquelicot, comme un leitmotiv tout au long du récit – ce qui m’a fait irrémédiablement penser à la couleur rouge utilisée par Spielberg dans La liste de Schindler, film tourné en noir & blanc. Chez M. Cervantès, la petite papavéracée rouge vif est maquisarde : « Par endroit , quelques coquelicots se dressent, là où on ne les attend pas, dans les gravillons au détour d’un chemin, sur les flancs d’une paroi rocheuse, au pied d’un mur, leurs pétales d’un rouge sang frémissant dans le vent. » Elle devient le symbole du combat des rebelles dans le roman et du message de la romancière. « Mon coquelicot, qui confie le transport de ses graines au hasard et au vent, a choisi de résister en cessant de produire des graines. J’y vois le plus mauvais et le plus heureux des présages ! »

Un monde mieux cultivé, par l’esprit et par la terre, certes, mais reste à savoir si cette utopie harmonieuse ne serait pas à son tour un ensemble totalitaire où chacun serait lié à tous et le tout à l’unité. « Notre résistance est de sauver les graines et de les conserver ». Orwellien dans sa moelle, le roman délivre, dans quelques-unes de ses dernières pages, une tonalité à la Germinal.

Le printemps arrive, disais-je. Espérons qu’il ne soit pas pourri.

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Tsar, vous avez dit tsar ?

Chronique du 02/11/2018 : Près du tsar, près de la mort, de Delphine Montariol

 

Un fond de sauce historique aromatisé à l’âme russe, quelques pincées de divers mystères : les ingrédients avaient tout pour m’ouvrir l’appétit. Petit retour sur ce roman historico-policier de Delphine Montariol : Près du tsar, près de la mort. Une lecture agréable et instructive.

Il s’en passe de belles sous les ors impériaux de Saint-Pétersbourg. Rumeurs d’empoisonnement, complots révolutionnaires et vol blasphématoire d’un œuf de Fabergé ! Les cousins Clifford – le bel Alistair et les jumeaux Meredith et Benedict -, héros-détectives récurrents de Delphine Montariol déjà protagonistes des Premières armes, quittent leur verte Angleterre victorienne pour une enquête policière protéiforme qui immerge le lecteur dans la Russie de 1900. Le titre du roman est d’ailleurs un adage de ce temps pas si ancien ; il est vrai que la personne du tsar Nicolas II attise les convoitises et les rancœurs les plus délétères.

Delphine Montariol, dans un style tenu, à l’élégance un peu british, nous livre un roman assez chic et pointilleux, où se pressent le crépuscule d’un monde, annonciateur de cataclysmes qui viendront secouer le XXe siècle : Première Guerre mondiale et révolutions russes. Au fil des investigations policières et policées, la Russie du dernier Romanov est sérieusement documentée. Le constant souci d’exactitude permet une intéressante mise en lumière des enjeux politiques, coulisses diplomatiques et autres roueries courtisanes régentant l’Europe de cette époque dite « Belle ». L’énumération des sources documentaires en fin d’ouvrage fait foi du gros travail de recherche et de compilation de la romancière.

La couverture me paraît assez bien résumer l’esprit du livre. Elle semble pourtant un peu hors sujet, et presque trop banale : le portrait impressionniste par Auguste Renoir de son coreligionnaire du pinceau Albert Cahen d’Anvers, bacchantes ostentatoires - fournies mais soignées -, posture assise presque nonchalante dans un fauteuil qu’on devine confortable, une main tenant un cigare, l’autre à demi-cachée dans la poche du pantalon. L’homme n’est visiblement pas hostile à un début d’aimable conversation mais une pensée nous le rend lointain ; il médite peut-être, son regard un peu vague semble absorbé dans une réflexion dont on ne sait si elle est futile ou profonde ; un mystère en soi, un faux-semblant, et l’on veut savoir…

Savoir, oui. Connaître la ou les vérités qui se cachent derrière le rôle officiel assigné à chaque personnage du roman, se pensent derrière chaque visage modelé par les impératifs du devoir patriotique, se trament derrière l’étiquette de la cour du tsar. Ce solide polar historique (m’) apparait comme un roman d’intériorité : celle des palais impériaux et des lieux de rendez-vous secrets ; celle surtout de personnages qui réfléchissent, anticipent, planifient, se parlent beaucoup à eux-mêmes avant de le faire entre eux, avec les réflexes intellectuels et le langage inhérents à leur caste et à leur éducation. Cinématographiquement, le roman se rapprocherait assez d’une adaptation 70’s des romans d’Agatha Christie, l’un de ces films où sir Peter Ustinov déambule, interroge et ausculte dans le rôle d’un Poirot à la fois obstiné et débonnaire. Une sorte d’élégance joliment désuète, une ambiance un peu feutrée… et le poignard qui peut surgir de n’importe où, n’importe quand, se planter dans n’importe qui. Bref, Delphine Montariol nous met en scène toute une atmosphère un brin dandy et vénéneuse.

Certes, de l’action il y en, of course - et en pagaille pajalousta (… et je dois avouer que la jeune et trépidante Meredith m’a parfois fait penser à une Tintin féminine au pays des futurs Soviets) -, avec sa kyrielle de tueurs implacables, ses descentes musclées de l’Okhrana, et les explosions, coups de force, de feu, de poing, de théâtre (Mariinsky, il va sans dire...) - wip, paf, crap, bang, vlop ! - qui vont naturellement avec. Cependant, on est frappé par l’absence initiale de crime sanguinolent ou autre situation gore. Rien qu’un vol, celui d’un œuf – et fût-il de Fabergé, on se dit de prime abord que l’affaire ne casserait pas trois pattes à un canard de Moscou blanc et que le petit Nicolas ferait mieux de se soucier de son peuple en tendant l’oreille à d’autres échos plus urgents, ceux des revendications de progrès social – mais voler cet œuf équivaut à voler un bœuf, celui de la prestigieuse et multiséculaire puissance autocratique russe ; un vol hautement scandaleux dans un contexte international tendu, sombre affaire saupoudrée de sales rumeurs et de complots idéologiques… Les investigations se multiplient, tout se croise et s’enchaîne. Jusqu’à la résolution flegmatique finale.

Mais, justice rendue et livre refermé, à mon tour affalé dans un fauteuil, une idée me traverse lentement l’esprit, l’infusant à la manière d’un thé Darjeeling : dans cette enquête apparently sans corps assassiné au début, le cadavre nécessaire à tout bon polar qui se respecte et sur lequel il faut bien se pencher pour justifier un commencement d’enquête ne serait-il pas, tout compte fait, celui de la vieille et sainte Russie monarchique ? Ce corps socio-politique encore sanglé et parfumé, courtois et perclus de rites, déjà putrescent sous les coups (assassins ?) répétés d’un monde nouveau et impitoyable en train d’éclore...

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L'élégance iconoclaste

Chronique du 17/07/2017 : L'Impossible amour (Dieu en 1970), de Dominique Léonie

 

Voilà un roman  élégant qui sort des sentiers battus. Réjouissant. D'abord, le style. D'apparence simple mais audacieux, avec cette prose à la musicalité régulière, un peu obsédante (à bien y regarder, ça alexandrine pas mal...). Le phrasé cadencé épouse le rythme monotone de la vie provinciale qui appesantit les désirs interdits des deux personnages principaux. La France des Trente Glorieuses, le foot, le bistrot, les potins. Convivialité de façade mais aussi omniprésence de cadenas sociétaux. L'auteur ne se contente donc pas de raconter une histoire ; la forme de son roman nourrit le propos. Le style devient matière, en corrélation avec l'histoire. Bref, il y a du corps. Ceux des personnages peuvent parfois s'exprimer, à l'abri des regards, dans la clandestinité, ce qui casse de temps à autres le rythme du récit… autant que de la normalité qui les étouffe. Car, en deuxième lieu, il y a le thème abordé. De l'audace, encore de l'audace. L'histoire d'amour entre une femme mariée… et un prêtre. Femme de chair, homme de chaire. L'amour d'une femme, l'amour de Dieu : les deux, aussi sincères l'un que l'autre, sont-ils conciliables ou ne peuvent-ils aboutir qu'à une tragédie ? Un livre qui laisse des traces, fait réfléchir après l'avoir lu. Sur le désir, sur le devoir, sur les règles établies. Sur le sentiment amoureux. Ne devrait-on pas envoyer un exemplaire à notre pape François, dont la réputation d'ouverture n'est pas la plus mauvaise dans toute la lignée des locataires du Vatican ?

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Du vent, des vents...

Chronique ciné du 01/01/2020 : Le Phare (The Lighthouse), film de Robert Eggers

À contre-courant des gentillesses formelles du moment, je débute l’année avec un film âpre et abscons, aussi digeste qu’un beau homard périmé de réveillon, présenté comme un thriller mais qui pourrait être tout autre chose ou rien du tout.

Éprouvant.

C’est le mot qui me vient le plus naturellement à l’esprit pour qualifier le nouveau film de l’américain Robert Eggers, The Lighthouse. Le seul même.

Les laudateurs clameront du « génial », « virtuose », « sublime », « étourdissant », « magistral », « profond » là où les détracteurs feront dans le « longuet », « ennuyeux » (c’est-à-dire « chiant »), « inutile », « boursouflé », « prétentieux », « hystérique », « outrancier » … Une perle cinématographique pour les uns ou une coquille Saint-Jacques vide pour les autres. Impossible pour ma part d’aimer ou de détester franchement. Je ne sais pas. On sort de la salle de projection éreinté, un peu groggy, la nuque raidie, heureux surtout de s’extirper sain et sauf de ces deux heures de tempêtes démentielle et excrémentielle. On soupire de soulagement ; d’exaspération aussi de n’avoir pas compris. Ou mal compris. Quitte à périr dans une aventure marine, autant partir chasser le cachalot avec le capitaine Achab. Ah ça non, on n’y remettra pas l’œil de sitôt sur ce foutu îlot…

Pourtant, il faut bien avouer que ce film ne laisse pas indifférent. Il dérange en imposant une expérience visuelle et intellectuelle à vingt mille lieux de l’entertainment habituel. Pour sûr qu’on n’est pas là pour s’amuser.

L’histoire est simple : à la fin du XIXe siècle, deux hommes - un vieux gardien de phare et son nouvel assistant -, arrivent sur une petite île désolée au large de la Nouvelle-Angleterre pour une mission de quelques semaines, loin de tout, et voilà.

C’est vrai qu’on souffre dans ce huis-clos à ciel ouvert, entouré par la mer déchaînée, happé par cette ambiance rendue oppressante par les bruits de la corne de brume, des voix rocailleuses et des vents, de tous les vents, venus d’on ne sait quel ciel divin caractériel ou des entrailles humaines, le noir & blanc aussi esthétique que pesant, les corps meurtris et déglingués des personnages, la minéralité abrupte du phare ou des rochers. Ça ressemble à un film muet qu’on aurait rempli de vacarme et de fracas. L’hyper-réalisme façonne une atmosphère paranoïaque qui sombre parfois dans l’onirisme (... à tendance cauchemardesque), mais toujours avec les pieds dans la vase, entouré de mouettes pas rieuses et de sirènes hurlantes. Malgré les embruns qui fouettent, on manque d’air ; les corps crachent, crient, chantent, mentent, se saoulent, vomissent, frappent, dansent, éjaculent… tout ça distille un indicible malaise. On en bave encore à essayer d’expliquer clairement ce qu’on a vu. Comment donner un semblant de signification à cette œuvre où les mensonges et les illusions se superposent ? Même l’identité des deux personnages finit par se brouiller, l’un des deux devenant l’autre, de la naissante barbe hirsute à la folie franchement aboutie. Bon sang, qu’est-ce qu’il nous veut, le cinéaste ?

Inutile de s’attarder sur la seule vérité tangible : l’excellence du jeu du duo de comédiens - Willem Dafoe et Robert Pattinson -, à la limite du cabotinage théâtreux mais irréprochable dans cette rugueuse implication physique qui crée une tension psycho-sexuelle irritante. Le premier confirme son statut de vieux briscard du 7e art américano-international, le second gagne une légitimité en déchirant son image lisse d’acteur à minettes ou de pub pour Dior. Voilà, c’est fait, tout le monde est repu, content, satisfait ; chacun glanera les honneurs officiels qui lui sont dûs.

Mais il reste… tout le reste. Comme si le réalisateur avait voulu nous balancer à la figure (et splatch !) tout son savoir-faire - et son savoir tout court - avec ses plans comme des tableaux successifs, sa mise en scène léchée, sa pléthore de références cinématographiques et littéraires, ses ostentatoires indices mythologiques, et c’est comme s’il nous disait : « Maintenant, démerde-toi camarade ! ». Bon, OK.

Je lis çà ou là qu’il y a du Murnau, du Kubrick ou encore du Lovecraft dans ce film. J’acquiesce volontiers face à ces avis d’experts ; j’ai quant à moi plus modestement pensé à Shutter Island, des deux personnages capturés de dos sur le bateau au début du film jusqu’à la descente infernale dans la folie furieuse. Dans son scénario, Eggers convie Prométhée –c’est assez net –, ici voleur d’un feu à un dieu certes plus neptunien que jupitérien, mais bon, on évolue dans un univers maritime après tout... Ne s’agit-il pas chez Ephraïm Winslow (ambigu personnage joué par Pattinson) de respecter le cahier des charges et d’effectuer sa juste part de présence au sommet du phare, ce que lui refuse l’autoritaire Wake (joué par Dafoe), pour tout simplement faire son boulot, toucher le fric qui va avec et poursuivre enfin dignement sa vie d’homme. Du Sisyphe aussi avec les humiliantes tâches imposées, répétitives et absurdes. Et puis un soupçon d’Icare, jusqu’à se brûler près de la vérité (mais quelle est-elle ?) avant de dégringoler dans la spirale de l’escalier.

Rassurez-vous, je ne divulgâche point. À trop en dire, on ne dit rien. Parce que de nombreux indices me sont certainement passés à côté, parce que les interprétations sont multiples, tentaculaires, peut-être toutes fausses, alimentant encore la tempête de nos cerveaux. Sachant que tout cela pourrait n’être qu’une « putain de parodie » destinée à faire blablater les zozos dans mon genre.

Bah après tout, allez-y donc sur cette île si le cœur vous en dit (... et s’il est bien accroché), grimpez dans le phare, ressentez ce que vous voulez et déduisez ce que pourrez. Bref, participez au délire à votre tour.

Bonne année à chacun/e

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De plumes et d'ombres

Chronique du 15/11/2019 : Mort en plumes - Enquêtes d’outre-tombe #2, de Sophie Moulay

Les fantômes ne meurent jamais. Voici la deuxième “enquête d’outre-tombe” de l’auteure Sophie Moulay. Le revenant Fournier est de retour dans Morts en plumes. Et pas n’importe où : chez moi, dans un Poitiers vintage des 50’s (qui ressemblait déjà beaucoup à l’actuel, la boule du Futuroscope en moins).

Roger Fournier quitte son Nord sans le perdre pour autant, suivant la mutation de l’inspecteur Tovelle dans cette grosse bourgade provinciale un tantinet assoupie mais aux murs de pierre qui suintent moult secrets. Autre cadre, autre acolyte (du genre sanguin) accolé au flegmatique inspecteur Tovelle, mais l’esprit du premier opus est intact. Le postulat du mort errant/enquêtant apporte ce lot déjà apprécié d’humour et de cocasserie. On ne s’étonnera pas qu’à la terrasse d’un café, une femme à boa rose et khôl noir joue toute seule au scrabble en s’esclaffant. Dans la continuité du précédent roman policier, pas de longues descriptions du Poitiers d’avant, mais l’effet nostalgique est garanti grâce au travail exigent de documentation de l’auteure. La cité pictave des 50’s ressuscite par petites touches dosées comme il faut, tantôt un menu de resto, tantôt l’évocation d’un lieu emblématique comme Le Fleuve Léthé, mythique lieu de baignade des Poitevins qui s’y trempaient pour folâtrer. Pour oublier ?

Dans la torpeur d’une fin d’été – celui de 1951 -, la faucheuse fait des siennes là où on l’attendrait le moins : le corps d’un enfant est retrouvé dans la paresseuse et tranquille rivière poitevine qu’est le Clain, étrange anagramme de “câlin”, « vert et coulant doux, avec ses barques entrechoquées et les rires des filles heureuses » comme écrivait le poète du coin Maurice Fombeure. Mais point de douceur ni de bonheur ici. Le petit Jean est mort, comme le mien dans La Bougrière deux cents plus tôt. Une autre histoire, certes. Le petit Jean de Sophie Moulay, lui, n’a pas vu de sorcière. Quoique.

L’auteure n’y va donc pas de main morte : on se coltine un infanticide, et c’est peu de dire que ça chamboule pas mal de monde. Y’a du remuement de tripes, y compris celles évanescentes de notre fantôme-fureteur. De page en page, ça se confirme : la viande froide ne manque pas, on furète du côté des abattoirs où courent des rats géants et on se fait servir des assiettes de charcuterie au Printania. Pas un roman pour vegans.

Mais la lecture passe bien, elle reste fluide et légère, car on est en Province et les accélérations les plus fulgurantes se font à bicyclette, avec ectoplasme sur le porte-bagage. C’est que Roger Fournier, depuis la résolution de son décès (lire le premier roman), se pique au jeu des investigations et il a des fourmis zombies dans ses guibolles désincarnées : « je suis définitivement un fantôme de terrain. Je laisse à d’autres les recherches fastidieuses. Je ne vais quand même pas me gâcher la mort avec de telles contraintes. » Le polar s’avère toutefois moins garni d’action que d’échanges verbaux entre protagonistes. Au gré d’une enquête très dialoguée, la vérité se dessine grâce aux petites observations des uns et des autres, aux échanges entre les vivants mais aussi entre… ah parce que oui, il se pourrait qu’il soit joignable le spectre-enquêteur, même avec quelques fritures dans la communication ! Les embouteillages de la Porte de Paris n’ont rien à voir avec le Périph’ de Paname et laissent le temps de cogiter pendant les allers-retours en Renault 4CV de la Porte de Paris (sortie nord de Poitiers, près de la vieille tour du temps d’Aliénor) jusqu’au village de Buxerolles, pas encore phagocyté par la périurbanisation. Ça sent les prémices des Trente Glorieuses avec deudeuches, dactylos consciencieuses et stylo à billes Bic, bien que le monde ancien vivote encore. Les vieilles ébruitent en silence en regardant passer la « quatre pattes » du duo (… pardon, trio) d’enquêteurs, et les rues anciennes du centre-ville sont aussi étroites que les commérages. Sans oublier ces relents d’un autre passé qui n’a pas moins marqué cette ville que d’autres : l’Occupation.

À remuer l’histoire et la terre, de vieux souvenirs enfouis - et parfois putrides - referont surface.

Mais ce roman ludique, qui n’élude pas la part sombre de l’âme humaine, laisse aussi affleurer la naissance d’une belle amitié. Qu’on pressent durable. Faut-il y voir la promesse de futures autres enquêtes ? « Un imperceptible sourire satisfait hante mes lèvres. Puis il allume sa lampe à franges et vient s’asseoir dans le cône de lumière jaunâtre qui s’en écoule. Je me rapproche de lui et, côte à côte, silencieusement, nous lisons du Maupassant tandis que la nuit s’insinue dans l’appartement et dans le cœur des hommes. »

 

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